7 mars 2008

POURQUOI LA DÉFENSE S'EST TUE AFFAIRE COFFIN


Je vous invite à lire ces deux docu-romans. On s'amuse à mort fait revivre l'affaire Poisson. En 1964, au Collège de Matane, le frère Oscar Lalonde est tué à coups de marteau. Trois étudiants sont écroués et traduits en justice. Un bon suspense judiciaire.
"Un avocat retraité en fait une solide étude de cas dans On s'amuse à mort au Collège de Matane..."
Michel Auger, Le Journal de Montréal
Dans l'affaire Coffin: une supercherie? vous prendrez connaissance de la preuve qui a été présentée au jury de Percé. Dans ce livre, je convie le lecteur à se mettre à la place d'un juré et de rendre un verdict en tenant compte des faits qui lui sont soumis. Mon blogue se veut la continuation de mon docu-roman. Bonne lecture.
Je poursuis aujourd'hui la publication des extraits du rapport Brossard. Voici la première de trois parties de cet autre extrait du rapport Brossard:

EXTRAIT DU RAPPORT DE LA COMMISSION BROSSARD
PARTIE IV
LA PREUVE DÉLAISSÉE, IGNORÉE OU…ABSENTE
Chapitre 2 : Pourquoi la défense s’est tue (Première partie)
On se souvient que l’honorable juge Edouard Rinfret de la Cour d’Appel avait mentionné que l’un des faits que les jurés de Percé avaient pu et étaient en droit de retenir avait été celui du silence de Coffin et de l’absence, dès lors, d’explications de sa part sur les faits incriminants prouvés par la Couronne.
Ainsi que nous l’avons vu précédemment, Coffin, réalisant, par lui-même ou par ses avocats, la terrible importance de cette constatation et de cette opinion du savant juge, eut recours, comme fondement de son droit douteux de faire, sous serment, mais hors de Cour, les allégations de son affidavit du 9 octobre 1955, au moyen que « bien que ce fut son désir de témoigner à sa propre défense, il avait été déconseillé de le faire par l’un de ses procureurs ».
Impressionné sans doute par l’opinion de l’honorable juge Rinfret qui comportait l’affirmation d’un principe de droit, mais n’adressait aucun reproche aux avocats de Wilbert Coffin et ne commentait pas leur décision, M. John Edward Belliveau (il n’était pas avocat, mais avait suivi le procès de Coffin) s’inspirant aussi, sans doute, des allégations extrajudiciaires de l’affidavit de Coffin du 9 octobre 1955 et de certains documents produits au ministère de la Justice, exprima sa surprise de la décision des défenseurs de Coffin de ne l’avoir pas fait entendre au procès, et ce, en des termes susceptibles de faire naître des doutes quant à la sagesse de cette décision.
De son côté, M. Hébert (il n’était pas avocat et n’avait ni assisté au procès ni lu la preuve offerte au jury) écrivit, tant dans « Coffin était innocent » que dans « J’accuse les assassins de Coffin », les lignes les plus brutales, les plus injurieuses et les plus dures sur le compte de Me Maher ; il l’accusa d’incompétence, d’avoir « commis tellement d’erreurs graves qu’il y a lieu de croire qu’il n’était pas en pleine possession de ses facultés », de n’avoir pas eu « la conduite d’un homme entre les mains duquel repose la vie d’un homme », d’avoir causé un tort irréparable à Coffin « en l’empêchant de témoigner et d’expliquer ce qui s’était passé en ses termes à ses compatriotes gaspésiens qui formaient le jury », en l’accusant « d’avoir bluffé pendant tout le temps du procès », d’une part, et, d’autre part, en donnant à entendre que Coffin avait été forcé au silence par Me Maher… »alors que Coffin suppliait son avocat de le laisser parler ».
Or, voyons ce que Me Maher et Doiron, deux des trois défenseurs de Coffin eurent à dire à ce sujet lorsqu’ils témoignèrent devant cette Commission et étudions le témoignage de Me Gravel sur le même sujet.
Je ne saurais mieux expliquer la conduite de Me Maher qu’en citant, in extenso, les explications qu’il en a lui-même donné devant cette Commission.
Après avoir dit pourquoi un certain nombre de témoins qu’il avait fait assigner au Nouveau-Brunswick ne furent pas entendus, comme nous le verrons ci-après lorsque nous traiterons de l’affaire de la jeep Arnold, après avoir rappelé que « quand on fait une défense la Couronne peut toujours faire une contre-preuve au criminel. », après avoir souligné qu’il lui avait fallu tenir compte a) de la déclaration statutaire de Wilbert Coffin faite à M. VAnhoutte le 6 août 1953, b) que cette déclaration produite lors de l’enquête préliminaire ne le fut pas devant le jury à Percé, et que c : comme il s’agissait d’une déclaration qui n’était pas incriminante en soi, elle pouvait servir pour contredire Coffin s’il témoignait, après avoir également rappelé « que toute la preuve de la Couronne au procès avait constitué en grande partie un démenti de différents faits allégués par Coffin dans cette déclaration statutaire », Me Maher donna les explications suivantes de la décision de ne pas faire entendre de témoins :
T.pages 9300 à 9310 :
« Et puis évidemment avec mon client, je ne veux pas rapporter ce qui s’est dit entre moi et mon client, mais mon client était au courant de A à Z de tout ce que je faisais, la famille Coffin, monsieur Albert Coffin et puis Donald, et que je ne voulais pas que ça sorte trop vite, le fait que je n’entendrais pas de témoins, quand la décision a été prise vers la fin du procès, parce que toutes les possibilités de défense ont été discutées et tenues en suspens jusqu’à la fin, et puis moi j’ai appris de Me Miquelon, il voulait déclarer sa preuve close le samedi, le vingt-neuf (29) ou le trente (30), je vais regarder, je pense que c’est le trente (30) juillet, samedi, et puis moi j’ai demandé, j’ai dit : « je suis mal pris avec mes témoins, les dates, tout ça, j’ai demandé de tenir ça en suspens. Alors, il n’a pas déclaré sa preuve close le samedi, mais on le savait, comment que je dirais ça… voyez-vous, samedi c’était le trente et un (31) juillet, et puis là le trente et un (31) juillet je savais que la Couronne avait fini, et puis c’est là que j’ai eu une conférence avec Me Gravel et puis Me Dorion, et c’est ce samedi-là que s’est décidé qu’on n’offrirait pas de défense.

Maintenant, c’est là qu’on a eu une discussion, une partie de la discussion a été sur ça, c’était de savoir la formule à adopter pour dire que l’on n’offrait pas de défense, parce que dans une cause aussi importante que cela, que d’une accusation meurtre, se lever et puis de dire : « on n’a pas de témoins à offrir, pas de défense, ç’a l’air encore plus bête que de dire : « the defence rest », bien c’était une expression consacrée et éprouvée par l’expérience d’éminents avocats anglais, mais je voulais dire tout simplement « the defence rest », ça ne voulait pas dire que l’on n’avait pas de défense à offrir, ça voulait que l’on calculait que la Couronne n’avait pas prouvé la cause hors de tout doute raisonnable, et que là on n’était pas obligé de faire une défense.

Et puis un des arguments principaux, c’est que Me Gravel me disait, et qu’en se basant sur la cause de Morabito vs The King or the Queen, The Morabito, que le degré de preuve requis, que le degré ou le poids de preuve requis n’avait pas été atteint par la Couronne.

« D’ailleurs, je crois que la décision est bonne, je reprendrais la même décision dans les mêmes circonstances, et si la décision basée sur le fait que la Couronne n’avait pas prouvé sa cause hors de tout doute raisonnable n’était pas bonne, comment ça se fait qu’on fait une commission royale, et puis comment ça se fait que pendant onze ans de temps tout le monde en a discuté, s’il n’y avait pas de doute? Je le réitère que notre décision était bonne, elle a été prise à trois, à quatre, tous ceux qui étaient intéressés, d’abord, le client, ensuite les avocats, on était parfaitement d’accord, en tenant compte de toutes les circonstances de la cause, en tenant compte de ce que la Couronne pouvait faire si on mettait Wilbert Coffin dans la boîte, et puis en tenant compte de la qualité de la preuve qui avait été offert par la Couronne, ou du poids de la preuve qui avait été offerte par la Couronne durant le procès.

Et puis, à part de ça que les faits disculpatoires que Wilbert Coffin aurait pu relater sous serment dans la boîte avaient été relatés par des témoins, je peux vous donner les noms, des faits disculpatoires ou exculpatoires qu’on pouvait établir par Wilbert Coffin, avaient été établis en transquestion par le témoin de la Couronne, et quand je parle de témoin de la Couronne, il y avait sa propre sœur, il y avait Bill Baker, il y avait …. Un instant, s’il vous plaît, alors la seule chose qu’on faisait en mettant Wilbert Coffin dans la boîte, on le livrait à la Couronne, on levrait à la transquestion de Me Noël Dorion et de Me Paul Miquelon et de Me Blanchard, et toute la Police provinciale où tout le quartier général de la Police provinciale était là avec une enquête des plus complète, on guettait tout, qui aurait pu contrôler n’import quoi à une minute d’avis, voyons donc, si on l’avait mis dans la boîte, monsieur, il n’y aurait pas eu d’enquête royale, d’après moi.

Q. Alors, vous venez justement de toucher, monsieur Maher, au point auquel j’arrivais, savoir s’il y avait divergence ou non d’opinions ?
R. Aucune.
Q. Entre les procureurs de la défense quand la décision a été prise de na faire témoigner Coffin ?
R. Écoutez-moi bien, on a discuté, on n’est pas du même tempérament monsieur Gravel et puis moi, et puis Me Doiron, Me Gravel et puis moi on a discuté, on a tenu toutes les avenues de défense ouvertes jusqu’à la fin, et puis pour montrer une chose, c’est que la décision était commune et solidaire.
Q. Est-ce que vous en aviez parlé, vous, de ce problème-là ?
R. Si vous voulez que j’en prenne la responsabilité tout seul, je vais la prendre toute seule, vous me posez la question, c’est ce qui est arrivé. Me Doiron et Me Gravel et puis moi, nous étions trois amis en plus d’être trois avocats, nous avions fait nos études universitaires ensemble, Me Gravel, j’avais été élevé dans presque la même rue que lui, c’était un de mes amis, on discutait très librement, et il n’y avait pas de cachettes, et puis on a tenu en suspens tous les moyens de défense, et puis on a défendu Coffin, tout le monde au meilleur de notre capacité, c’est ça la vérité.
Me Gravel faisait des recherches, il le faisait très bien, il travaillait fort, Me Doiron faisait son possible aussi et je crois avoir fait le mien.

Q. Est-ce que vous êtes au courant, monsieur Maher, si cette question, si cette décision de faire ou non témoigner Coffin avait été au cours du procès décidée par téléphone avec Me Arthur Maloney de Toronto ?
R. Je sais que Me Gravel communiquait très souvent avec Arthur Maloney de Toronto, et moi je lui a parlé une fois, une fois et Me Arthur Maloney m’a parlé de la théorie, la théorie de la possession récente, d’objets récemment volés, et puis j’ai dit oui. Il a dit : « as-tu bien lu ça ? » J’ai dit : « oui, j’ai bien lu ça ».
C’est out ce qu’il y a eu entre Me Maloney et moi.

Q. Est-ce qu’il vous a parlé, à ce sujet-là, précisément, de l’opportunité de faire entendre Coffin ou non ?
R. Lui, son opinion, c’était qu’il fallait faire attention parce que, vous connaissez sa théorie, si un accusé, si vous voulez, est trouvé en possession récente d’objets récemment volés, il faut qu’il donne une explication plausible, c'est-à-dire que, oui, le fardeau est renversé à ce moment-là.

….

R. Mon opinion était que la Couronne avait prouvé possession récente d’objets ayant appartenu aux Américains, mais il n’y avait aucune preuve de vol quelconque, il n’y avait aucune preuve de vol quelconque ; d’abord, il n’y a personne qui est venu dire qu’elle s’était fait voler, et il n’y a personne qui a dit : « j’ai volé ».
Alors, je prétendais que la théorie ne s’applique pas, c’était mon opinion, c’était l’opinion de mes confrères.
Évidemment, quand on regard en rétrospective, ce n’est pas la même chose qu’avant le verdict, vous savez qu’après qu’un verdict est rendu c’est facile de faire des remarques, mais prendre des décisions avant un verdict, c’est très difficile dans une cause capitale.
Je crois que tout le monde a fait leur possible pour donner à Wilbert Coffin la meilleure défense possible.

Q. Vous venez de nous dire de quelle fac¸on cette décision a été prise d’un commun accord des avocats de la défense, pourriez-vous nous dire si votre client, lui-même était au courant de cette décision-là avant qu’elle soit annoncée en Cour ?

R. Bien oui, voyons, il était complètement au courant, d’abord, il suivait les débats très attentivement, je l’ai tenu au courant toute l’année, je l,ai vu très souvent dans l’année, il m’a aidé dans l’enquête, je ne peux pas entrer dans c¸a, et je ne rentrerai pas là-dedans, mais il était très éveillé, il était intelligent, il était très au courant, et puis je discutais ave lui aux ajournements, je le voyais de bonne heure le matin, presqu’à tous les matins, parce que je me levais tôt, et puis je le voyais deux ou trois fois par jour, on discutait, je discutais avec mes confrères, je ne dis pas que j’ai toujours été de la même opinion que mes confrères et que mes confrères étaient de la même opinion que moi, mais nous discutions ensemble afin de trouver la meilleure défense que possible.

Q. Est-ce qu’il est arrivé au cours du procès que Coffin ait manifesté son intention de témoigner d’une façon quelconque ?

R. Coffin s’en est remis, mon cher confrère, complètement à moi là-dessus, ce que j’ai fait avec Coffin, ce que j’ai discuté avec lui, je ne peux pas vous le rapporter, mais je peux vous dire qu’il s’en est remis complètement à moi, et puis moi j’en ai pas pris la décision tout seul, j’en ai discuté ave clui et j’en ai discuté avec mes deux autres confrères, et j’en ai discuté avec sa famille.

Q. Pouvez-vous nous dire si votre client…

R, Il n’a jamais demandé désespérément, non, non, non, il ne m’a jamais demandé pour témoigner, mais on a discuté ensemble de la possibilité qu’il témoigne, ça a été discuté à fond, étudié à fond, et puis remâché, je ne sais pas comment de fois.

Q. Est-ce que, étant mis au courant de votre avis, à l’effet qu’il serait préférable qu’il ne témoigne pas, est-ce que Coffin a manifesté son accord ?

R. Coffin était complètement d’accord.

Q. Alors, j’en arrive ici à ce qu’on lit à la page 56 du volume de monsieur Hébert, le troisième paragraphe où l’auteur s’exprime comme suit : « souvent Coffin aurait voulu intervenir, confondre un témoin qui entraînait le jury sur une fausse piste, apporter un éclaircissement qui aurait interdit à la Couronne d’élaborer de savantes théories sur la foi d’une erreur de date ou de malentendu, mais son avocat Me Maher l’a empêche`é de parler sans justification aucune » ?

R. Mon cher ami …

Q. Est-ce que c’est arrivé, ç, au cours du procès ?
R. Comment voulez-vous qu’un avocat empêche son client de parler en Cour ? Êtes-vous capable de me le dire, vous ? S’il voulait si désespérément parler, il n’avait rien qu’à parler, je n’ai jamais empêché Coffin de parler, jamais de ma vie, et je n’ai jamais empêché un de mes clients de parler, mais j’ai déjà conseillé, par exemple, sur l’opportunité de témoigner ou non, ça je l’ai fait souvent. C’est une des pires décisions, les plus difficiles à prendre qu’il n’ay ait pas dans n’importe quelle profession à savoir faire témoigner notre client ou non dans une cause de meurtre avec une atmosphère qui est tendue, qui est électrique, la moindre petite erreur de sa part peut lui mettre la core au cou, voyons donc.
C’est une des décisions les plus dures à prendre. ! (à suivre)
LA SEMAINE PROCHAINE, J'AFFICHERAI LA DEUXIÈME PARTIE DE CE CHAPITRE CONCERNANT LE TÉMOIGNAGE DEVANT LA COMMISSION BROSSARD DE ME LOUIS DOIRON, L'UN DES AVOCATS DE COFFIN.

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