LES DERNIÈRES VOLONTÉS ET LE TESTAMENT DE WILBERT COFFIN - COMMENT LE TORONTO DAILY STAR LES A-T-IL OBTENUS?
PARTIE VII, VOL. III
SUR CERTAINS INCIDENTS MAJEURS DE L’AFFAIRE COFFIN
Chapitre13 : LES DERNIÈRES VOLONTÉS DE WILBERT COFFIN – COMMENT UN JOURNAL LES CONNUT
Dans le dernier chapitre de son volume intitulé « Last Will and Testament », l’auteur Belliveau écrivit ce qui suit :
Page 152
« On the last day of his life, Wilbert Coffin wrote his will in the Bordeaux death cell in the presence of François Gravel, Rev. Sam Pollard and three police witnesses. He asked that this and a sworn statement he had made to lawyers in jail some months earlier be published by the Toronto Star because of its sympathetic and accurate coverage of his long case.
This was the will:”
Suit le texte de ce qui aurait constitué ce « Last Will and Testament » et le texte d’un « codicille » par lequel Coffin laissait « everything I have or may have to my dear son James ». À la fin du deuxième texte ainsi reproduit, on lit les mots suivants : « Copyright, Toronto Daily Star 1956 ». Ce document ne pouvait manifestement constituer une disposition testamentaire légale ni être l’objet d’un Copyright dans les conditions où il fut remis au Toronto Star dans les circonstances que nous allons examiner.
Au tout début de cette enquête, monsieur Belliveau, interrogé au sujet des circonstances dans lesquelles lui ou son employeur le Toronto Daily Star auraient obtenu possession de ce document et l’autorisation de le reproduire ne put le faire par suite du maintien par le président de cette Commission d’une objection formulée contre la légalité de cette preuve à ce stade de l’enquête.
Lorsque monsieur Belliveau revint témoigner lors de l’une des dernières séances tenues par la Commission, la preuve de ces circonstances fut permise pour le motif qu’elles étaient de nature à permettre à la Commission de juger des agissements de monsieur Gravel avant l’exécution de Coffin.
Ce ne fut pas sans difficulté que la Commission réussit à obtenir de Me Gravel la production d’un document original dont des reproductions étaient censées avoir été données tant dans le Toronto Daily Star du 10 février 1956, après l’exécution de Coffin, que dans le volume de monsieur Belliveau.
Le document produit par Me Gravel, sauf la signature de Wilbert CVoffin et ses initiales au bas de chaque page, fut entièrement écrit de la main de Me Gravel ; il comportait plusieurs ratures, un certain nombre de mots étaient parfaitement illisibles.
Une comparaison de ce document avec ce qui était censé en être une reproduction dans le livre de monsieur Belliveau, a révélé, entre le document original et la reproduction, les différences suivantes :
Dans le paragraphe relatif au refus essuyé par Coffin sur sa demande de se marier à sa « common law wife » Marion Petrie, les mots « due to Québec Authorities » furent remplacés par « due to a Government order ».
Dans le paragraphe relatif aux injustices dont Coffin se plaignait, les mots « I never had a fair deal » furent remplacés par les mots « I was not fairly treated. »
Le paragraphe suivant de l’original : « It is my express and firm wish that a statement I made to Mr. Gravel and Maloney in October 1955, be divulged to the public by my attorney François de B. Gravel, the whole at his own discretion” fut remplacé par ce qui suit: “It is my express and firm wish and desire that a statement which I made to my attorneys, Arthur E. M. Maloney of Toronto and François de B. Gravel of Québec City, when visiting me last October at the Bordeaux jail, be divulged to the public”.
Un paragraphe illisible de l’original dans lequel un mot seulement peut-être déchiffré semble avoir été reproduit par ce qui suit : « I greatly thank all those who worked in my defence ».
Le paragraphe original se lisant comme suit : « I will like express my thanks Maloney and Gravel and it is hard for me to tell them all my gratitude » a été remplacé par ce qui suit : « I would like to express my most sincere thanks to my counsels, François Gravel and Arthur Maloney, for all the work they have given my case… I am sorry to say that it is very hard for me to express all my gratitude”.
Les trois paragraphes suivants qui apparaissent dans le texte original n’apparaissent pas dans la reproduction du texte:
« I would like an allowance to son as victim of an unjust trial »
“Ask Marion to look after the child I would”
“Allow François to write for public a true story of my case”.
Devant cette Commission, monsieur John Edward Belliveau a donné les explications suivantes des circonstances dans lesquelles ce document signé par Coffin a été obtenu aux fins de reproduction dans le Toronto Daily Star.
À cause de la rivalité qui existait entre le Toronto Daily Star et le Toronto Telegram, chacun de ces deux journaux s’intéressa vivement aux derniers événements et développements de l’affaire Coffin. Belliveau était à Montréal avec un nommé John Gail, un reporter photographe, le matin du 9 février 1956 ; ils devaient se rendre à la prison tous deux pour s’y informer, entre autres choses, de la question de la commutation de la sentence et de la question du mariage possible entre Coffin et Marion Petrie.
Ils rencontrèrent Me Gravel le même matin; celui-ci devait lui aussi se rendre à la prison pour rendre une dernière et pénible visite à son client. Me Gravel, M. Belliveau et M. Gail firent route ensemble. M. Belliveau croit qu’au cours de ce voyage en automobile, il aurait dit à Me Gravel « that if coffin made any statement, any dying statement, or any statement before his death, of that character, that we would want it ».
Lorsque Me Gravel sortit de la prison, il leur parut fort affaissé.
Belliveau revit Me Gravel le même soir et croit que « they were together alone for a good deal of that time, a good deal of the evening », il croit que c’est à ce moment “that the question of the Last Will and Testament came up for discussion”.
Pour plus d’exactitude, je citerai certaines déclarations de M. Belliveau ou les résumerait en langue anglaise :
I may have asked Gravel to specifically see if there was anything that the accused man would say for publication, such discussions would have taken place, I imagine, some time on the 9th.
He supposed he would have learned about the Last Will and Testament during the evening from Gravel; he then asked him for the content of the document.
He thinks it was then that he also learned about the long affidavit of October; it was during that same evening that Gravel agreed to give him the content of these two documents.
He recalls that he made some conditions which would give the Toronto Daily Star the exclusive rights to the first use of this information.
There was a discussion of financial considerations along the line that the family had been put to a very great deal of expenses during the original trial and the various appeals and that Gravel had, in his association, gotten little or nothing from the family or any other source and that we might be assisting the family in some way, if we could make some financial consideration…
Ce serait au cours de la nuit qui suivit l’exécution de Coffin, cependant, que les tractations entre lui et Me Gravel, mais surtout entre Me Gravel et les représentants du Toronto Star à Toronto, par téléphone, au sujet d’une rémunération pour Me Gravel, se firent et que la transmission des textes, de Montréal à Toronto fut effectuée.
M. Belliveau ne croit pas avoir vu l’original du testament ou à tout événement avoir pu le lire en entier, car : « He has a feeling that, for some reason or other, Gravel did not let him see the entire document ». M. Belliveau ajoute : « I am quite certain that Mr. Gravel, in a room in the Mount Royal Hotel in Montréal, read this to me or read from a document that he had in his possession ».
M. Belliveau croit que, lorsqu’il transmit à son journal par télétype ou par téléphone le texte du testament qui lui avait été dicté par Me Gravel, il était au courant qu’une entente s’était conclue entre Me Gravel et ses employeurs.
Quant aux divergences entre l’original et la reproduction, M. Belliveau explique : « It seems possible that an attempt was made to provide a readable document. The changes, basically are changes in a language which make this into common English ».
Quant aux omissions que nous avons soulignées plus haut, M. Belliveau les attribue au fait que Me Gravel ne les lui a pas dictées. Il ne croit pas qu’elles soient imputables à l’ « Editorial Staff » du Toronto Daily Star, quoique cela soit toujours possible.
Monsieur Belliveau n’a pas vérifié sur l’original si le testament comportait véritablement une autorisation de publier soit le dernier testament, soit un affidavit antérieur, celui du 9 octobre 1955 ; il suppose qu’il y avait eu discussion entre lui et Me Gravel, antérieurement, quant à la possibilité pour Me Gravel d’obtenir une autorisation de son client à la publication de son affidavit ou de son testament et que cette discussion a dû prendre place le jour qui a précédé l’exécution, très probablement, le matin, durant le voyage à la prison.
Quant à l’affidavit du 9 octobre 1955, qui fut aussi reproduit dès le lendemain matin par le Toronto Star, les explications de M. Belliveau qu’il a dû obtenir une copie de cet affidavit de Me Gravel en même temps qu’il obtenait connaissance du dernier testament, sont beaucoup moins claires et concluantes. De cette partie du témoignage de monsieur Belliveau, il est permis de se demander si, en fait, cet affidavit n’était pas en la possession du Toronto Daily Star depuis avant l’exécution de Coffin et dans ce cas, qui aurait pu le lui remettre. On ne peut d’autre part constater qu’avec un certain étonnement la rapidité avec laquelle se serait effectuée, au cours de la nuit qui a suivi l’exécution de Coffin, la transcription du testament en une langue lisible, sa transmission au Toronto Daily Star à Toronto, la transmission d’une photocopie de la cédule « A » annexée au testament, la transmission du long affidavit du 9 octobre 1955 que Me Gravel aurait eu en sa possession, à Montréal, le jour de l’exécution, le tout en temps utile pour être reproduit dans la première édition du Toronto Star du lendemain avant-midi ; il a fallu que tout ceci se fasse avec grande rapidité peu de temps après le moment de l’exécution de Coffin.
Dans son contre-interrogatoire de monsieur Belliveau comme d’ailleurs dans son propre témoignage subséquent à celui de monsieur Belliveau, Me Gravel a tenté, sans succès quant à nous, d’établir que tout ce qui a trait à la communication par lui à monsieur Belliveau du testament de Coffin, aux ententes relatives à la reproduction de ce testament dans le Toronto Star, avec un prétendu droit de « Copyright », s’est exclusivement passé au cours de la nuit qui a suivi l’exécution.
Eu égard aux déclarations formelles de monsieur Belliveau, aux désirs exprimés par celui –ci, avant la visite à la prison le matin du 9, eu égard surtout aux dispositions qui ont été insérées dans le testament de Coffin, rédigé comme nous l’avons vu par Me Gravel et écrit de sa main, afin de donner à Me Gravel, et à lui seul, le pouvoir absolument discrétionnaire de publier son affidavit du 9 octobre 1955 et d’écrire « A true story of my case » et au soin pris par Me Gravel d’insérer dans le « testament » une clause à l’effet qu’il était fort difficile pour Coffin d’exprimer à ses deux avocats toute sa gratitude, il ne me paraît pas faire de doute que le matin du 9 février 1956, lorsque fut rédigé et exécuté ce « dernier testament », Me Gravel songeait déjà à l’utilisation possible de ce testament pour lui permettre de compenser par une somme à être reçue du Toronto Daily Star les honoraires professionnels auxquels il avait indubitablement droit, mais que ni Wilbert Coffin ni sa famille n’étaient en mesure de lui payer.
J’ajoute que, d’après la preuve, Me Gravel a touché quelques jours après l’exécution de Coffin du Toronto Daily Star une somme de $3,000.00.
Tout ceci n’est guère édifiant.
Je me dois de souligner que non seulement aucune preuve ne nous a été offerte à l’effet que ce testament aurait été signé en la présence du Rév. Sam Pollard, le chapelain de la prison de Bordeaux, et de trois officiers de police, comme l’affirme monsieur Belliveau dans son volume, mais qu’au contraire, il appert du témoignage qu’a rendu devant nous Me Gravel et du document qu’il nous a produit qu’il était seul avec son client Wilbert Coffin lors de l’exécution de ce testament. Je crois devoir souligner également l’inexactitude de l’affirmation de monsieur Belliveau que Coffin avait demandé que son testament et son affidavit d’octobre soient publiés dans le Toronto Star « because of its sympathetic and accurate coverage of his long case ». C’est un moyen pour le moins peu élégant d’effacer des pages du Toronto Star les « indélicatesses » qui furent commises au moins le lendemain de l’exécution de Coffin.
Se rattache à ce qui précède le passage suivant de l’ouvrage de monsieur Belliveau :
« In the afternoon and evening before his execution, Wilbert Coffin busied himself preparing his will and writing two letters. One was for his family, and it bore a secret, something which they alone may know: the other was to his chaplain. What the letters contain is, of course, known only to the recipients.
It is believed that the family letter contained information concerning Coffin’s mining claims, about which he talked much on the last day. He wanted his brother to look after his maps and his ore samples so that one day his son might profit by what they would bring, for he had willed them to the boy.”
Or, nous avons interrogé à ce sujet tous les membres de la famille Coffin qui ont comparu devant nous; ni madame Albert Coffin, ni sa fille madame Stanley, ni ses fils Leslie and Donald, ni son gendre Weston Eagle, ni madame Marion Petrie, ni le frère de cette dernière n’ont reçu de lettres qui leur auraient été écrites par Wilbert Coffin peu de temps avant son exécution ou n’ont eu connaissance de telles lettres.
Questionné à ce sujet, monsieur Belliveau nous a déclaré que sa seule source d’informations lui serait parvenue de Me François Gravel ; celui-ci nous a déclaré, pour sa part, n’avoir jamais eu connaissance que de telles lettres aient été écrites et transmises par son client, et il ne se souvient pas d’avoir fait de déclarations dans ce genre à monsieur Belliveau.
La mention de ces lettres était peut-être touchante, mais elle n’était sûrement pas un exemple frappant de l’objectivité et de la probité intellectuelles dont doivent faire montre les journalistes. (Fin de ce chapitre)