1 septembre 2008

L'AFFAIRE COFFIN ET LES NOMBREUSES JEEPS

L’AFFAIRE COFFIN ET LES NOMBREUSES JEEPS (PREMIÈRE PARTIE)

Au sujet des nombreuses jeeps dont il est question dans l’affaire Coffin, le juge Brossard fait une étude méticuleuse de chacune d’elle dans un chapitre de 116 pages. Comme il s’agit d’une partie importante de la preuve et qu’elle a fait couler beaucoup d’encre et donner naissance à de nombreux ragots, je vous reproduirai ces pages au cours des prochaines semaines.



RAPPORT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE BROSSARD SUR L’AFFAIRE COFFIN (27 NOVEMBRE 1964)
VOL. 1 CHAPITRE 5

LA JEEP DONT LA PRÉSENCE EN GASPÉSIE OU AUX ENVIRONS AURAIT ÉTÉ CONSTATÉE PAR DES TÉMOINS OCULAIRES À L’ÉPOQUE OÙ LES CRIMES FURENT COMMIS.

Lors de la séance du 27 juillet 1953 de l’enquête du Coroner, Wilbert Coffin qui n’était encore ni détenu comme « témoin important » ni accusé, fut appelé à témoigner. Il déclara que, le 10 juin, en fin d’après-midi, lorsqu’il retourna avec le jeune Lindsay auprès des deux compagnons de ce dernier, il vit une jeep portant licence américaine dont les deux passagers causaient avec M. Lindsay, père, et le jeune Claar demeurés dans le bois aux côtés de leur camionnette avariée et immobilisée.
Lors du procès, le sergent Henri Doyon, racontant le voyage qu’il avait fait dans le bois avec Wilbert Coffin et l’agent Synnett le 21 juillet 1953 au retour de Coffin, raconta que Coffin lui avait mentionné une telle rencontre de deux autres Américains dans une jeep portant licence américaine.
Au procès, la Couronne mit en preuve qu’à la suite de recherches faites par les membres de la Sûreté provinciale, tout particulièrement, dans les registres des gardes-barrières chargés de contrôler, à l’entrée et à la sortie, la circulation sur les routes pénétrant en forêt, la seule jeep américaine dont on avait pu relever la présence dans le bois entre le 27 mai et le 12 juin 1953 était celle dont un docteur Burkett et un M. Ford accompagnés de leur guide, Russell Patterson, s’étaient servis au cours d’une partie de chasse à l’ours ; la Couronne mit également en preuve qu’une jeep américaine aperçue par des messieurs Savidant, habitants de la région, avait été celle du docteur Burkett et de M. Ford et que cette jeep avait quitté la Gaspésie plusieurs jours avant le 10 juillet.
À l’époque tant de l’enquête du Coroner que du procès, les journaux rapportèrent les déclarations de Wilbert Coffin et la preuve relative à la jeep du docteur Burkett. En septembre 1955, à l’époque où les procureurs de Coffin tentaient désespérément, avec l’appui et les interventions fébriles de parents et amis de Coffin et même d’étrangers, de sauver leur client par la transmission au ministère de la Justice d’un grand nombre d’affidavits et de déclarations se rapportant aux faits qui paraissent avoir retenu, en priorité, l’attention des juges de la Cour d’appel, les journaux publièrent la nouvelle qu’un docteur Wilson et son épouse auraient, vers le 5 juin 1953, vu, à bord d’un traversier se rendant à la Rivière-du-Loup une jeep portant licence américaine et dont les occupants étaient des jeunes et qu’ils auraient perdu cette jeep de vue dès sa descente du traversier d’où ils présumèrent qu’elle avait pris la route de la Gaspésie.
À la suite de la publication de ces nouvelles par les journaux, certaines personnes se mirent en communication, soit avec la Police provinciale de Québec, soit avec des journalistes, soit avec l’un des procureurs de Wilbert Coffin au sujet de jeeps qu’elles prétendaient avoir vues dans la région à l’époque des crimes ; d’autres telles personnes furent retracées tardivement dans des circonstances fortuites et parfois étonnantes, comme ce fut le cas pour le docteur et madame Wilson, à l’automne de 1955 seulement.
S’est-il agi dans ces différents cas d’une seule et même jeep ou de plusieurs jeeps différentes dont l’une aurait pu ou pourrait être reliée à celle que Coffin avait déclaré avoir vue ?
C’est là l’un des problèmes les plus sérieux et les plus importants dont la Commission a été saisie.
Sous la dictée certaine et extrêmement habile de ses avocats, Coffin parla, dans son long affidavit du 9 octobre 1955, de la présence de plusieurs jeeps dans la région où les meurtres furent commis, plus spécialement, dans le paragraphe 41 (relatif aux traces de jeep qu’il aurait vues et don il sera ci-après question) et dans les paragraphes 23 et 48 dont voici les textes :
23. Mr. Maloney (one of Coffin’s lawyer) produced a photograph of a jeep closed in with plywood and marked as Exhibit « A » to this statement. Mr. Maloney informed me that he obtained this photograph from the Toronto Evening Telegram who represented it to be a photograph of a jeep that had been found in the Province of New Brunswick. Having studied the photograph, I am not in a position to swear that it is the identical jeep occupied by the two Americans whom I met with the Lindsay party after my return from Gaspé on June 10th with Lindsay Jr. The fact is the two jeeps looked very much alike and both were built in the same way. The jeep which I saw occupied by the two Americans by a factory but rather by someone not thoroughly experienced in such matters and it seemed to me that it was stained with some kind of oil or varnish. It may well be that the jeep shown in the photograph marked « Exhibit « A » is one and the same jeep but I am not in a position to swear to it. »
48. I repeat I am innocent of this crime and I feel I was not given a fair trial, chiefly that evidence about the presence of another jeep and other Americans in the Gaspé District was held back and that evidence of the marks of a jeep on the road in the vicinity of the camps was also held back. I was made to look as though I was a liar because it was proved that Dr. Burkett and Mr. Ford were not in the district after June the 5th. The fact is, as I said before, Dr. Burkett left the Lindsey party and new witnesses have now come forward who prove another jeep and other Americans were in the district and that the police connected with my case knew this and held it back. It is now proved too by Sergeant Henri Doyon’s admission to my lawyer François de B. Gravel that there were jeep marks on the road. »
D’autre part, MM. Belliveau et Hébert, mais tout spécialement M. Jacques Hébert, ont versé beaucoup d’encre sur le sujet.
Aussi bien, cette partie du rapport sera-t-elle relativement plus longue que la très grande majorité des autres.
Avant, toutefois, d’entreprendre l’étude de la preuve relative à la présence d’une ou plusieurs jeeps, il convient d’étudier deux questions assurément aussi importantes que les autres, savoir :
a) les jurés furent-ils suffisamment renseignés sur les routes conduisant aux camps aux environs desquels les meurtres furent commis ? et
b) est-il exact, comme la preuve en fut faite au procès, que, lors de la découverte de la camionnette des chasseurs américains abandonnée sur la route conduisant aux camps de bûcherons près desquels, les ossements des victimes furent retrouvés, on ne constata aucune trace de jeep ?

-I-

LES JURÉS FURENT-ILS SUFFISAMMENT RENSEIGNÉS SUR LES ROUTES CONDUISANT AUX CAMPS AUX ENVIRONS DESQUELS LES MEURTRES FURENT COMMIS ?

TOPOGRAPHIE DES LIEUX

Au procès de Coffin, un grand nombre de gardes-chasse, gardes-pêche et guides de la région de Gaspé, tous gens qui avaient participé aux recherches des trois chasseurs américains, furent entendus sur les voyages qu’ils effectuèrent au cours de ces recherches ; un bon nombre d’officiers de police y compris le sergent Doyon et les agents Sinnett, Vanhoutte, Fradette, Dumas et Fafard témoignèrent également sur leurs propres recherches en compagnie des autres chasseurs ou indépendamment d’eux ; tous, sans exception, décrivirent l’endroit où fut découverte la camionnette abandonnée et où furent retrouvés les cadavres des chasseurs comme se situant aux environs de camps de bûcherons connus comme les camps 21, 24, 25 et 26 ; plusieurs d’entre eux sinon tous décrivirent aussi par quels chemins ils s’y étaient rendus ; les camps étaient manifestement ceux d’une entreprise d’exploitation forestière et étaient situés non loin d’une rivière qui paraît avoir été identifiée comme la branche nord de la rivière St-Jean.
En ce qui concerne la topographie des lieux, un témoin important fut monsieur Maurice Hébert, aujourd’hui Inspecteur à la Sûreté provinciale en charge du Service de l’identité judiciaire pour l’est de la province ; en juin et juillet 1953, sa fonction primordiale consistait à faire le relevé topographique des lieux pour différentes causes présumément criminelles ; c’est en cette qualité qu’il fut interrogé au procès. Monsieur Hébert y décrivit ainsi les chemins par lesquels on pouvait avoir accès aux camps de bûcherons dans la région dans laquelle les meurtres furent commis ; tout d’abord, deux routes principales a) la route conduisant de Gaspé à Murdochville le long de la rivière York et b) une route partant de Gaspé et longeant la rivière St-Jean, au sud de la rivière York, passant par les camps 21, 24, 25 et 26 dans la région où les meurtres furent commis et rejoignant, vers l’ouest, la grande route Gaspé-Murdochville. Il décrivit une route secondaire connue sous le nom de Tom’s Brook Road et reliant la route Gaspé-Murdochville à celle longeant la rivière St-Jean, à l’est de l’endroit où se trouvaient les camps ; il mentionna tout spécialement l’existence d’un grand nombre de sentiers s’enfonçant en forêt à partir de ces diverses routes, sentiers difficilement carrossables pour des automobiles. Monsieur Maurice Hébert et plusieurs autres témoins établirent que sur la route longeant la rivière St-Jean, entre les camps susdits et Gaspé, un pont enjambant la rivière St-Jean avait été emporté par la crue des eaux ; c’est à cet endroit que le 9 juin les chasseurs américains venant de Gaspé avaient tenté de traverser à gué la rivière St-Jean, n’avaient pu réussir à le faire avec leur camionnette et avaient été obligés de se faire dépanner par un groupe de quatre chasseurs, pêcheurs, gardes-chasse ou gardes-pêche qui survinrent sur les lieux ; les trois chasseurs américains avaient alors été obligés de rebrousser chemin, retourner à Gaspé pour aller prendre la route de Gaspé-Murdochville, puis la route secondaire du Tom’s Brook pour se rendre à l’endroit où leur camionnette cessa de fonctionner ; c’est là que le lendemain Wilbert Coffin les rencontra et où fut retrouvée un mois plus tard la camionnette définitivement abandonnée à deux milles environ du premier groupe de camps de bûcherons susdits.
M. Maurice Hébert et tous les témoins furent contre-interrogés par les procureurs de la défense qui eurent toute facilité pour obtenir d’eux les renseignements additionnels qu’ils jugeaient appropriés et nécessaires.
Cette preuve, M. Jacques Hébert ne l’a jamais connue dans son essence ou dans ses détails, puisque, de sa propre admission, il n’a jamais pris, avant la présente enquête, connaissance du dossier conjoint dans lequel toute la preuve était reproduite, et puisqu’il n’a pas pris connaissance non plus des notes des juges de la Cour d’Appel.
Précieusement armé de cette ignorance de la preuve soumise au procès de Coffin, substituant son ignorance des contre-interrogatoires auxquels les divers témoins dont j’ai fait mention furent soumis par les procureurs de la défense à la connaissance que pouvaient avoir eue, lors du procès Coffin, les défenseurs de ce dernier, le tout d’ailleurs avec la même désinvolture et la même outrecuidance que celles qu’il témoigna à l’endroit des juges de nos plus hauts tribunaux, M. Hébert écrivit, dans son deuxième volume, les lignes qui suivent :
(À SUIVRE)

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