Coffin à son camp
Le couteau du jeune Lindsey et
la valise du jeune Claar que la
police a retrouvés chez la
maîtresse de Coffin à Montréal.
A) L’INCIDENT THOMPSON ET LE VOYAGE DU NOTAIRE MOREAU
L' INCIDENT THOMPSON
L’arrêté en conseil a donné mandat à la Commission de faire enquête « sur la crédibilité des déclarations faites par Francis Thompson à la police de Miami, en novembre 1958 ».
Pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause, la Commission a donc enquêté sur tous les aspects de ce curieux incident et elle a, sur ce seul sujet entendu 36 témoins et recueilli 66 exhibits.
L’étude de la matière suggère la division suivante :
I – LA PERSONNALITÉ DE FRANCIS GABRIEL THOMPSON;
II – LES ÉVÈNEMENTS DE MIAMI;
III- LE VOYAGE DU NOTAIRE J. CONRAD MOREAU;
IV – L’ALIBI DE THOMPSON
V – LA CRÉDIBILITÉ DE THOMPSON
VI – CONCLUSIONS
NOTA NE MANQUEZ PAS CE CHAPITRE DU RAPPORT BROSSARD SUR LE VOYAGE DU NOTAIRE MOREAU À MIAMI. C’EST ROCAMBOLESQUE VOIRE ÉPOUSTOUFLANT… UN ROMAN TORDANT! DU JACQUES HÉBERT A SON MEILLEUR!
B) LES INTERROGATOIRES DE WILBERT COFFIN, MARION PETRIE ET LEWIS SINNETT ;
C) LE CAS DE VINCENT PATTERSON;E) LES DEUX PRISONNIERS QUE L’ON AURAIT INCITÉS À TÉMOIGNER CONTRE COFFIN.
PARTIE VI, VOL. 2, CHAPIRE 1, EXTRAIT DU RAPPORT BROSSARD
L' INCIDENT THOMPSON
-III-
Le voyage du notaire J. Conrad Moreau
Le notaire J. Conrad Moreau, âgé de 51 ans, est né à St-Gervais Bellechasse; il y est toujours demeuré et il y pratique sa profession de notaire, sur la rue Principale.
Son voisin immédiat, depuis au moins une vingtaine d’années, était le docteur Armand Paradis, qui est décédé en mars de cette année.
Pour des raisons diverses, les relations entre les deux familles n’étaient pas des meilleures : on ne se fréquentait guère, on pouvait se dire bonjour à la messe du dimanche, mais on n’entretenait pas, semble-t-il, de rapports suivis. Depuis une vingtaine d’années, les amitiés s’étaient graduellement refroidies, jusqu’au point où, depuis 1960, le notaire Moreau et le docteur Paradis ne s’étaient pas adressé la parole. Leurs épouses respectives n’étaient pas en meilleur terme. On devine la froideur de leurs relations quand on apprend que la famille Paradis avait été particulièrement affectée, au dire du notaire Moreau, lorsque celui-ci s’était bâti, sur le terrain voisin, une nouvelle maison en 1959-1960.
Les parents du notaire Moreau passaient régulièrement leurs hivers en Floride, où ils louaient un appartement à l’année, à West Palm Beach et, à peu près chaque hiver, le notaire Moreau et son épouse effectuaient un voyage de quelques semaines au cours duquel ils rendaient visite aux parents du notaire.
En novembre 1958, le notaire et madame Moreau décident d’aller passer 15 jours en Floride et, suivant leurs dires, concluent les arrangements avec Eastern Airlines pour le voyage de Montréal à Miami. Il appert du répertoire, régulièrement tenu, du notaire Moreau que celui-ci n’a reçu aucun acte entre le 22 novembre et le 6 décembre 1958. Toujours suivant leurs dires, le notaire Moreau et son épouse quittèrent Montréal par le dernier avion de Eastern Airlines avant le déclenchement d’une grève de pilotes qui devait immobiliser cette compagnie durant plusieurs semaines.
Les dossiers de Eastern Airlines sont détruits après trois ans, de sorte qu’il n’y a pas de preuve documentaire disponible de ce voyage de Monsieur et Madame Moreau à l’aller; mais la preuve démontre qu’une grève des pilotes de Eastern a éclaté à minuit, le 24 novembre 1958, pour durer jusqu’au 2 janvier 1959. La version de Monsieur et Madame Moreau n’est donc pas infirmée, à tout le moins, par cette preuve.
À Miami, Monsieur et Madame Moreau ne sont restés qu’environ une heure, et toujours ensemble : le temps de prendre un taxi à l’aéroport et de se rendre au terminus d’autobus pour effectuer le trajet de 60 milles qui sépare Miami de West Palm Beach, où l’on devait demeurer à l’hôtel Pennsylvania. La Commission a tenté de vérifier à ce dernier endroit les dates du séjour de Monsieur et Madame Moreau, mais, là aussi, elle s’est heurtée à la destruction des dossiers de 1958.
À cause de la grève qui immobilisait toujours Eastern, le notaire Moreau dut faire d’autres arrangements pour le retour et il put enfin s’assurer le passage sur un avion d’une autre compagnie le 4 décembre. Confirmation de la date en est fournie par la coïncidence de la naissance d’une nièce le même jour et les téléphone et télégramme qui furent alors échangés.
Rien dans la preuve, même pas le témoignage de l’épicier d’en face Monsieur Paul Fournier, ne permet de mettre en doute la vérité des faits relatés par le notaire et madame Moreau et, pour les avoir vus et entendus témoigner, la Commission ne trouve pas de motif extrinsèque qui la justifierait de mettre leur témoignage de côté.
Or le notaire et madame Moreau jurent n’être restés à Miami qu’environ une heure, pour passer de l’avion à l’autobus, n’y être pas retournés ensuite durant leur séjour en Floride, n’avoir rien connu à l’époque de l’incident Thompson, en un mot de n’être en rien impliqués dans cette affaire.
Thompson a aussi solennellement affirmé qu’il n’avait reçu de visite d’aucun Canadien, sauf celle de Monsieur Jacques Hébert, et qu’aucun élément semblable à celui que Monsieur Hébet a mis de l’avant dans son deuxième volume n’avait joué dans sa décision. Mais il y a plus.
En effet, les circonstances qui entouraient la détention de Thompson à l’époque rendent extrêmement improbable qu’on ait pu permettre à un étranger d’entrer facilement en contact, sans surveillance, avec Thompson durant la courte période où il a maintenu ses aveux. i.e. du 27 novembre au 1er décembre.
Il est vrai que, dans son deuxième volume page 153, Monsieur Jacques Hébert met dans la bouche du président d’un poste de télévision de Miami la remarque qu’il « est possible d’acheter un garde en y mettant prix ». Le même personnage aurait ajouté à Monsieur Hébert :
« Un garde n’aurait pas cru commettre une grosse faute en permettant à un « ami canadien » d’avoir une entrevue sans témoin avec un détenu qui, après tout, n’était accusé que de vagabondage. »
Or toute autre était la situation. Thompson avait été arrêté, au début, sous un soupçon de vol. Mais dès que furent connues ses déclarations, on fit apparaître en gros caractères, sur le rapport d’arrestation, la mention « no visitors ». De plus, sur la fiche de Thompson à la prison (Jail card) apparaît, au bénéfice du geôlier, l’entrée suivante :
« Statement by Milton Chesser that deft. has been making statements to Chesser and others that he, the deft., has murdered before and would do it again. On the other info received by Chesser it is extremely advisable to use caution with this prisoner. 11 -27 -58”
Les détectives Chesser et Minix ont témoigné, comme en fait d’ailleurs foi la fiche de la prison, qu’ils avaient été les seuls à entrer en contact avec Thompson, hors Monsieur Jacques Hébert et, dans les circonstances ci-haut relatées, la Commission n’hésite pas à accorder foi entière à leur témoignage sur ce point.
D’où vient, dès lors, l’ » hypothèse » échafaudée par Monsieur Hébert dans son deuxième volume, page 154 à 158, à l’effet que, pour rétracter ses aveux et ainsi sauver l’Union Nationale d’un scandale possible, Thompson aurait accepté la forte somme ($10,000.00 ou $100,000.00 dit l’auteur) de la part du notaire Moreau qui aurait fait, dans ce but, un voyage précipité de trois jours à Miami, en sa qualité de personnage influent de l’Union Nationale et d’organisateur politique de Me Noël Dorion?
Nous entrons ici dans un domaine où jouent à la fois l’imagination et l’envie, l’imprudence et l’audace.
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la fondation du journal « Le Devoir » en janvier 1960, soit plus d’un an après l’incident Thompson, Madame Armand Paradis, la voisine du notaire Moreau, vient passer huit jours à Montréal, et en profite pour aller payer son abonnement à Cité Libre. Monsieur Hébert avait son bureau dans le même édifice. Madame Paradis était une ardente admiratrice - c’était d’ailleurs son droit – de Monsieur Jacques Hébert : abonné au journal « Vrai », elle avait aussi lu tous ses ouvrages et, de temps à autre, lui écrivait des commentaires sur les œuvres que sa maison d’édition publiait.
Au cours de cette entrevue, Madame Paradis parla à Monsieur Hébert du voyage du notaire Moreau en Floride et lui remit une carte postale que celui-ci avait expédiée à Monsieur et Madame Paradis de West Palm Beach le 3 décembre 1958. Madame Paradis a témoigné que c’était purement par hasard qu’elle avait cette carte postale dans sa sacoche lors de son entrevue avec Monsieur Hébert, plus d’un an après les événements dont il s’agissait!
Quoi qu’il en soit, il fut évidemment convenu entre eux que Madame Paradis jouerait au détective amateur puisque, le 24 avril 1960, elle écrivait de St-Gervais à Monsieur Hébert :
« Je crois que vous attendez signe de vie de ma part, faisant suite à la dernière entrevue. J’ai le regret de vous dire : rien de nouveau. J’ai posé des jalons; même des pièges, sans résultat immédiat bien que je ne perde pas confiance. Bien entendu, mes moyens d’action sont limités de par ma situation, vous en conviendrez.
…
J’espère que vos démarches sont plus fructueuses, bien que je reste convaincue que la justice et la vérité soient deux grandes dames fort peu courtisées et très difficiles d’approche.
Dans la mesure de mes faibles moyens, je reste prête à coopérer.
Avec mes meilleurs vœux de succès. »
Subséquemment, Monsieur Hébert écrivait à Madame Paradis qu’il pourrait la rencontrer à l’Hôtel Clarendon, à Québec – Madame Paradis avait exprimé le désir de ne pas traiter de cette affaire avec Monsieur Hébert à St-Gervais – et, de fait, l’entrevue eut lieu, à une date cependant que la preuve n’a pas précisée.
Or il appert que Madame Paradis a alors fourni à Monsieur Hébert la plupart des renseignements – non pas tous, cependant, sur lesquels celui-ci a bâti son hypothèse et, pour ce faire, Madame Paradis s’est basée exclusivement sur ce qui lui a semblé une coïncidence de dates entre le départ du notaire Moreau pour la Floride et la rétractation de Thompson. Or Madame Paradis n’avait même pas eu personnellement connaissance du départ du notaire Moreau et elle ignorait même si son épouse l’avait accompagné; devant la Commission, elle n’a pas pu fournir de précisions qui soient venues infirmer la version des intéressés.
Par ailleurs, Madame Paradis a déclaré et répété, devant la Commission, que « ç’a commencé comme une farce, cette histoire-là », que «c’est parti en farce, ça, cette affaire-là » et qu’elle l’avait bien dit à Monsieur Jacques Hébert. Le notaire Moreau avait d’ailleurs déjà témoigné aussi que le docteur Paradis « en faisait beaucoup de blagues ».
Et pourtant, c’est apparemment sur ces seules informations venant de Madame Paradis, sans en vérifier l’exactitude ni le sérieux, que Monsieur Jacques Hébert a assis son hypothèse. Il n’est pas sans intérêt de noter que le notaire Moreau la démentait publiquement dans un affidavit qu’il faisait publier dans les journaux de Québec le 18 décembre 1963, soit quelques jours seulement après la parution du livre de Monsieur Jacques Hébert.
Qui plus est, Monsieur Hébert a ajouté quelques éléments qui épicent le récit, mais que Madame Paradis, cette fois-ci, a nié lui avoir fournis : disons simplement, sans élaborer, que la preuve les a tantôt détruits (la question d’influence politique), tantôt ignorés (la situation financière).
De tout ceci, il reste en preuve devant la Commission que le notaire J. Conrad Moreau n’a rien eu à voir avec l’incident Thompson de près ou de loin et a été entraîné dans cette affaire malgré lui sur la foi d’un ragot de village, par suite de ce que nous appelions plus haut, d’une part, l’imagination et l’envie de Madame Armand Paradis et, d’autre part, l’imprudence et l’audace de Monsieur Jacques Hébert.
Quelle que soit l’habileté du procédé qui consiste à énoncer une « hypothèse » pour traîner sur la place publique un citoyen que l’on finit par « acquitter » (page 158), la Commission ne voit aucune justification à cet épisode du livre de Monsieur Hébert et trouve difficile de qualifier avec assez de sévérité la conduite d’un auteur qui fait preuve de manque aussi complet du sens de la responsabilité et qui affiche un mépris aussi souverain pour la réputation d’autrui. (À SUIVRE)
L' INCIDENT THOMPSON
L’arrêté en conseil a donné mandat à la Commission de faire enquête « sur la crédibilité des déclarations faites par Francis Thompson à la police de Miami, en novembre 1958 ».
Pour pouvoir se prononcer en connaissance de cause, la Commission a donc enquêté sur tous les aspects de ce curieux incident et elle a, sur ce seul sujet entendu 36 témoins et recueilli 66 exhibits.
L’étude de la matière suggère la division suivante :
I – LA PERSONNALITÉ DE FRANCIS GABRIEL THOMPSON;
II – LES ÉVÈNEMENTS DE MIAMI;
III- LE VOYAGE DU NOTAIRE J. CONRAD MOREAU;
IV – L’ALIBI DE THOMPSON
V – LA CRÉDIBILITÉ DE THOMPSON
VI – CONCLUSIONS
NOTA NE MANQUEZ PAS CE CHAPITRE DU RAPPORT BROSSARD SUR LE VOYAGE DU NOTAIRE MOREAU À MIAMI. C’EST ROCAMBOLESQUE VOIRE ÉPOUSTOUFLANT… UN ROMAN TORDANT! DU JACQUES HÉBERT A SON MEILLEUR!
B) LES INTERROGATOIRES DE WILBERT COFFIN, MARION PETRIE ET LEWIS SINNETT ;
C) LE CAS DE VINCENT PATTERSON;E) LES DEUX PRISONNIERS QUE L’ON AURAIT INCITÉS À TÉMOIGNER CONTRE COFFIN.
PARTIE VI, VOL. 2, CHAPIRE 1, EXTRAIT DU RAPPORT BROSSARD
L' INCIDENT THOMPSON
-III-
Le voyage du notaire J. Conrad Moreau
Le notaire J. Conrad Moreau, âgé de 51 ans, est né à St-Gervais Bellechasse; il y est toujours demeuré et il y pratique sa profession de notaire, sur la rue Principale.
Son voisin immédiat, depuis au moins une vingtaine d’années, était le docteur Armand Paradis, qui est décédé en mars de cette année.
Pour des raisons diverses, les relations entre les deux familles n’étaient pas des meilleures : on ne se fréquentait guère, on pouvait se dire bonjour à la messe du dimanche, mais on n’entretenait pas, semble-t-il, de rapports suivis. Depuis une vingtaine d’années, les amitiés s’étaient graduellement refroidies, jusqu’au point où, depuis 1960, le notaire Moreau et le docteur Paradis ne s’étaient pas adressé la parole. Leurs épouses respectives n’étaient pas en meilleur terme. On devine la froideur de leurs relations quand on apprend que la famille Paradis avait été particulièrement affectée, au dire du notaire Moreau, lorsque celui-ci s’était bâti, sur le terrain voisin, une nouvelle maison en 1959-1960.
Les parents du notaire Moreau passaient régulièrement leurs hivers en Floride, où ils louaient un appartement à l’année, à West Palm Beach et, à peu près chaque hiver, le notaire Moreau et son épouse effectuaient un voyage de quelques semaines au cours duquel ils rendaient visite aux parents du notaire.
En novembre 1958, le notaire et madame Moreau décident d’aller passer 15 jours en Floride et, suivant leurs dires, concluent les arrangements avec Eastern Airlines pour le voyage de Montréal à Miami. Il appert du répertoire, régulièrement tenu, du notaire Moreau que celui-ci n’a reçu aucun acte entre le 22 novembre et le 6 décembre 1958. Toujours suivant leurs dires, le notaire Moreau et son épouse quittèrent Montréal par le dernier avion de Eastern Airlines avant le déclenchement d’une grève de pilotes qui devait immobiliser cette compagnie durant plusieurs semaines.
Les dossiers de Eastern Airlines sont détruits après trois ans, de sorte qu’il n’y a pas de preuve documentaire disponible de ce voyage de Monsieur et Madame Moreau à l’aller; mais la preuve démontre qu’une grève des pilotes de Eastern a éclaté à minuit, le 24 novembre 1958, pour durer jusqu’au 2 janvier 1959. La version de Monsieur et Madame Moreau n’est donc pas infirmée, à tout le moins, par cette preuve.
À Miami, Monsieur et Madame Moreau ne sont restés qu’environ une heure, et toujours ensemble : le temps de prendre un taxi à l’aéroport et de se rendre au terminus d’autobus pour effectuer le trajet de 60 milles qui sépare Miami de West Palm Beach, où l’on devait demeurer à l’hôtel Pennsylvania. La Commission a tenté de vérifier à ce dernier endroit les dates du séjour de Monsieur et Madame Moreau, mais, là aussi, elle s’est heurtée à la destruction des dossiers de 1958.
À cause de la grève qui immobilisait toujours Eastern, le notaire Moreau dut faire d’autres arrangements pour le retour et il put enfin s’assurer le passage sur un avion d’une autre compagnie le 4 décembre. Confirmation de la date en est fournie par la coïncidence de la naissance d’une nièce le même jour et les téléphone et télégramme qui furent alors échangés.
Rien dans la preuve, même pas le témoignage de l’épicier d’en face Monsieur Paul Fournier, ne permet de mettre en doute la vérité des faits relatés par le notaire et madame Moreau et, pour les avoir vus et entendus témoigner, la Commission ne trouve pas de motif extrinsèque qui la justifierait de mettre leur témoignage de côté.
Or le notaire et madame Moreau jurent n’être restés à Miami qu’environ une heure, pour passer de l’avion à l’autobus, n’y être pas retournés ensuite durant leur séjour en Floride, n’avoir rien connu à l’époque de l’incident Thompson, en un mot de n’être en rien impliqués dans cette affaire.
Thompson a aussi solennellement affirmé qu’il n’avait reçu de visite d’aucun Canadien, sauf celle de Monsieur Jacques Hébert, et qu’aucun élément semblable à celui que Monsieur Hébet a mis de l’avant dans son deuxième volume n’avait joué dans sa décision. Mais il y a plus.
En effet, les circonstances qui entouraient la détention de Thompson à l’époque rendent extrêmement improbable qu’on ait pu permettre à un étranger d’entrer facilement en contact, sans surveillance, avec Thompson durant la courte période où il a maintenu ses aveux. i.e. du 27 novembre au 1er décembre.
Il est vrai que, dans son deuxième volume page 153, Monsieur Jacques Hébert met dans la bouche du président d’un poste de télévision de Miami la remarque qu’il « est possible d’acheter un garde en y mettant prix ». Le même personnage aurait ajouté à Monsieur Hébert :
« Un garde n’aurait pas cru commettre une grosse faute en permettant à un « ami canadien » d’avoir une entrevue sans témoin avec un détenu qui, après tout, n’était accusé que de vagabondage. »
Or toute autre était la situation. Thompson avait été arrêté, au début, sous un soupçon de vol. Mais dès que furent connues ses déclarations, on fit apparaître en gros caractères, sur le rapport d’arrestation, la mention « no visitors ». De plus, sur la fiche de Thompson à la prison (Jail card) apparaît, au bénéfice du geôlier, l’entrée suivante :
« Statement by Milton Chesser that deft. has been making statements to Chesser and others that he, the deft., has murdered before and would do it again. On the other info received by Chesser it is extremely advisable to use caution with this prisoner. 11 -27 -58”
Les détectives Chesser et Minix ont témoigné, comme en fait d’ailleurs foi la fiche de la prison, qu’ils avaient été les seuls à entrer en contact avec Thompson, hors Monsieur Jacques Hébert et, dans les circonstances ci-haut relatées, la Commission n’hésite pas à accorder foi entière à leur témoignage sur ce point.
D’où vient, dès lors, l’ » hypothèse » échafaudée par Monsieur Hébert dans son deuxième volume, page 154 à 158, à l’effet que, pour rétracter ses aveux et ainsi sauver l’Union Nationale d’un scandale possible, Thompson aurait accepté la forte somme ($10,000.00 ou $100,000.00 dit l’auteur) de la part du notaire Moreau qui aurait fait, dans ce but, un voyage précipité de trois jours à Miami, en sa qualité de personnage influent de l’Union Nationale et d’organisateur politique de Me Noël Dorion?
Nous entrons ici dans un domaine où jouent à la fois l’imagination et l’envie, l’imprudence et l’audace.
À l’occasion du cinquantième anniversaire de la fondation du journal « Le Devoir » en janvier 1960, soit plus d’un an après l’incident Thompson, Madame Armand Paradis, la voisine du notaire Moreau, vient passer huit jours à Montréal, et en profite pour aller payer son abonnement à Cité Libre. Monsieur Hébert avait son bureau dans le même édifice. Madame Paradis était une ardente admiratrice - c’était d’ailleurs son droit – de Monsieur Jacques Hébert : abonné au journal « Vrai », elle avait aussi lu tous ses ouvrages et, de temps à autre, lui écrivait des commentaires sur les œuvres que sa maison d’édition publiait.
Au cours de cette entrevue, Madame Paradis parla à Monsieur Hébert du voyage du notaire Moreau en Floride et lui remit une carte postale que celui-ci avait expédiée à Monsieur et Madame Paradis de West Palm Beach le 3 décembre 1958. Madame Paradis a témoigné que c’était purement par hasard qu’elle avait cette carte postale dans sa sacoche lors de son entrevue avec Monsieur Hébert, plus d’un an après les événements dont il s’agissait!
Quoi qu’il en soit, il fut évidemment convenu entre eux que Madame Paradis jouerait au détective amateur puisque, le 24 avril 1960, elle écrivait de St-Gervais à Monsieur Hébert :
« Je crois que vous attendez signe de vie de ma part, faisant suite à la dernière entrevue. J’ai le regret de vous dire : rien de nouveau. J’ai posé des jalons; même des pièges, sans résultat immédiat bien que je ne perde pas confiance. Bien entendu, mes moyens d’action sont limités de par ma situation, vous en conviendrez.
…
J’espère que vos démarches sont plus fructueuses, bien que je reste convaincue que la justice et la vérité soient deux grandes dames fort peu courtisées et très difficiles d’approche.
Dans la mesure de mes faibles moyens, je reste prête à coopérer.
Avec mes meilleurs vœux de succès. »
Subséquemment, Monsieur Hébert écrivait à Madame Paradis qu’il pourrait la rencontrer à l’Hôtel Clarendon, à Québec – Madame Paradis avait exprimé le désir de ne pas traiter de cette affaire avec Monsieur Hébert à St-Gervais – et, de fait, l’entrevue eut lieu, à une date cependant que la preuve n’a pas précisée.
Or il appert que Madame Paradis a alors fourni à Monsieur Hébert la plupart des renseignements – non pas tous, cependant, sur lesquels celui-ci a bâti son hypothèse et, pour ce faire, Madame Paradis s’est basée exclusivement sur ce qui lui a semblé une coïncidence de dates entre le départ du notaire Moreau pour la Floride et la rétractation de Thompson. Or Madame Paradis n’avait même pas eu personnellement connaissance du départ du notaire Moreau et elle ignorait même si son épouse l’avait accompagné; devant la Commission, elle n’a pas pu fournir de précisions qui soient venues infirmer la version des intéressés.
Par ailleurs, Madame Paradis a déclaré et répété, devant la Commission, que « ç’a commencé comme une farce, cette histoire-là », que «c’est parti en farce, ça, cette affaire-là » et qu’elle l’avait bien dit à Monsieur Jacques Hébert. Le notaire Moreau avait d’ailleurs déjà témoigné aussi que le docteur Paradis « en faisait beaucoup de blagues ».
Et pourtant, c’est apparemment sur ces seules informations venant de Madame Paradis, sans en vérifier l’exactitude ni le sérieux, que Monsieur Jacques Hébert a assis son hypothèse. Il n’est pas sans intérêt de noter que le notaire Moreau la démentait publiquement dans un affidavit qu’il faisait publier dans les journaux de Québec le 18 décembre 1963, soit quelques jours seulement après la parution du livre de Monsieur Jacques Hébert.
Qui plus est, Monsieur Hébert a ajouté quelques éléments qui épicent le récit, mais que Madame Paradis, cette fois-ci, a nié lui avoir fournis : disons simplement, sans élaborer, que la preuve les a tantôt détruits (la question d’influence politique), tantôt ignorés (la situation financière).
De tout ceci, il reste en preuve devant la Commission que le notaire J. Conrad Moreau n’a rien eu à voir avec l’incident Thompson de près ou de loin et a été entraîné dans cette affaire malgré lui sur la foi d’un ragot de village, par suite de ce que nous appelions plus haut, d’une part, l’imagination et l’envie de Madame Armand Paradis et, d’autre part, l’imprudence et l’audace de Monsieur Jacques Hébert.
Quelle que soit l’habileté du procédé qui consiste à énoncer une « hypothèse » pour traîner sur la place publique un citoyen que l’on finit par « acquitter » (page 158), la Commission ne voit aucune justification à cet épisode du livre de Monsieur Hébert et trouve difficile de qualifier avec assez de sévérité la conduite d’un auteur qui fait preuve de manque aussi complet du sens de la responsabilité et qui affiche un mépris aussi souverain pour la réputation d’autrui. (À SUIVRE)
6 commentaires:
Du pur délire!
De plus vous faites bien de nous rappeler la valise du jeune Claar et le canif du jeune Lindsey. Ceux qui disent Coffin innocent ne parlent jamais de ces choses-là pourtant si incriminantes.
J. Veillette, Shawinigan
Mes premiers doutes sur l'honnêteté intellectuelle de J. Hébert et sur l'innocence de Coffin ont commencé avec ma lecture dans les années 60 de ce chapitre sur le notaire Moreau.
Mme Nicole B.-Audette
Quel fabulateur, ce Jacques Hébert!
P. Hamel
Cet hurluberlu d'Hébert a tout fait pour nous rendre Coffin sympathique. J'ai du mal à qualifier de sympathique un homme de 40 ans qui vole la valise et les vêtements d'un adolescent en brousse, loin de chez lui.
De plus, chers défenseurs de Coffin, expliquez-moi comment il se fait que le jeune Claar ait laissé sa valise, ses vêtements et ses jumelles dans la camionnette, à cinq milles des camps de chasse. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que Coffin a volé les chasseurs sur les lieux de leur mort.
Hébert a beaucoup insisté sur la quasi impossibilité pour un homme d'en abattre trois autres "armés jusqu'aux dents". Il n'a pas eu l'honnêteté de dire que les crimes avaient vraisemblablement été commis à deux endroits différents. De plus, rien ne dit que Coffin n'a pas tué les deux jeunes au moment où ceux-ci, dans un moment de détente (repas, repos, etc.) n'avaient pas leurs armes en mains. C'est d'autant plus logique qu'ils étaient à toute proximité du camp.
Cher Hébert, grand romancier,
va !
Les défenseurs de Coffin ont tout fait pour nous rendre Coffin sympathique. Ils ont tout fait aussi pour détruire la réputation de la victime Eugene Lindsey. Avec des histoires de mines, de boisson, de femmes. Ils en ont même fait un usurier. Tous, comme Hébert, des gens intellectuellement honnête!
Claude Laprise, Montréal
Avec Jacques Hébert on est non seulement dans le roman, mais dans le roman humoristique.
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