Cet article vient de paraître dans La Mémoire, été 2018, no
147, la revue de La Société d’histoire et de généalogie des Pays-d’en-Haut.
Des gènes britanniques chez des
Canadiens français : une énigme de la généalogie génétique
Par Clément Fortin, avocat à la
retraite
Sur YouTube, un Canadien français
décrit en anglais ses résultats d’ADN qu’il vient de recevoir de MyHeritage.
Voulant convaincre ses auditeurs de ses origines, il ponctue généreusement ses
propos du juron identitaire du Canadien français. Il découvre que ses
ascendants sont tout sauf français. Pour votre édification, je vous laisse le
plaisir de découvrir ses origines génétiques en cliquant sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=D826Fpu62X4
La
génétique me captive. D’abord comme juriste, je salue un moyen efficace de débusquer
les assassins. Et sur le plan historique, la recherche de l’ADN de fossiles
facilite la découverte des origines de l’homme de Néandertal et de l’homme
moderne. Pour enfin, avec un peu de salive, découvrir mes origines génétiques.
C'est
le 25 avril 1953 que James Watson et Francis Crick publient dans la revue Nature
un article d’une page établissant la structure en double hélice de l’ADN. À
juste titre, on leur décerne le prix Nobel. Près de 50 ans plus tard, on
réalisera le décodage du génome humain. Quel bond de géant leur découverte
offre-t-elle à l'humanité!
En
surfant sur le Web, je note que MyHeritage fait une offre intéressante d’un
test d’ADN. Ma curiosité m’incite à vivre cette expérience. Quelques semaines
plus tard, je reçois des résultats surprenants. On m’apprend que je suis :
63 % Anglais
19,3 % Ibère
15,5 % Grec
2,2 % des Balkans (Hongrie, Roumanie, Bulgarie
et Bosnie-Herzégovine).
Il
ne fait aucun doute que je suis de descendance française. C’est ce que me
confirme la généalogie de mes familles maternelles et paternelles. Mais on ignore
ce que les collatéraux nous réservent comme surprise.
Le
Québec est une terre d’accueil. À titre d’exemple, en 1811, monseigneur Joseph-Octave
Plessis, évêque de Québec, se rend en bateau à Matane, mon patelin d’origine, pour
y faire sa visite pastorale. Il constate avec admiration que des Micmacs, des Canadiens,
des Acadiens, des Écossais, des Allemands, des Irlandais et des Anglo-Américains
y vivent en parfaite harmonie. Il trouve remarquable d’entendre une même
personne parler trois ou quatre langues.
En poursuivant ma recherche sur
le Web, je prends connaissance d’une étude réalisée par la Fédération des
Québécois de souche qui commente 23andMe[i],
un laboratoire de génétique grand public. Je vous invite à lire cette étude.
Vous y accéderez en cliquant sur le lien de la note 1. Je vous suggère aussi la lecture de cet article Le
patrimoine génétique germanique des Québécois [ii]
de Christian Allen Drouin dont vous trouverez le lien qui vous y conduira à la note
2, à la fin de ce document. Et vous aimerez aussi lire un article d’Alain
Vadeboncoeur intitulé « I’m an English,
my dear [iii]».
23andMe
offre aussi la possibilité de connaître notre état de santé ; d’apprendre si
nous sommes porteurs de gènes de maladies ; dans quelle mesure sommes-nous
susceptibles de souffrir de diabète, d’alzheimer, etc. Pour le moment, je m’en
tiens à la généalogie génétique. Tout
bien pesé, je cède à la tentation de me soumettre à un test d’ADN offert par 23andMe
dont le rapport fournit beaucoup d’information sur chacune des ethnies
analysées. J’en ai extrait celles qui m’apparaissaient les plus pertinentes.
Européen 98,2 %
Européen du Nord-Ouest 87,2 %
Français et Allemand 48,1 %
Les
«Français et les Allemands» descendent d'anciennes populations alpines
celtiques et germaniques et habitent une région s'étendant des Pays-Bas à
l'Autriche, ce qui correspond à peu près à l'étendue du royaume franc de Charlemagne au Moyen Âge. Les
estimations placent Charlemagne lui-même dans les arbres généalogiques de tous
les Européens modernes, peut-être plusieurs fois. Génétiquement et
géographiquement, les Français et les Allemands sont au cœur de l'Europe.
Britannique et Irlandais 20,0 %
Européen du Sud 6,9 %
Ibérique 5,4%
Largement Européen du Sud 1,5 %
Largement Européen 4,1 %
Asiatique de l'Est et
Amérindien 0,7 %
Les premiers humains à atteindre le Nouveau Monde ont peuplé une grande
partie de l'Amérique du Nord, du Centre et du Sud quelques milliers d'années
après leur arrivée de l'Asie du Nord-Est et l'héritage génétique de ces
pionniers préhistoriques persiste à ce jour chez les peuples autochtones des
Amériques. En Amérique du Nord, cependant, l'ascendance amérindienne a tendance
à n’être que de cinq générations ou plus, ce qui laisse peu de traces d'ADN de
cet héritage.
Amérindien 0,6 %
Moyen-Orient et Afrique du
Nord 0,2 %
Les peuples d'Asie occidentale et d'Afrique du Nord ont non seulement
des liens génétiques, mais aussi des liens linguistiques profonds les uns avec
les autres.
Largement de l’Asie orientale
et Amérindien < 0,1 %
Les peuples d'Asie de l'Est et des Amériques ont une histoire génétique
commune. Leurs ancêtres communs ont quitté l'Asie occidentale il y a 80 000
ans, migrant vers l'Est à travers le continent. Les ancêtres des Amérindiens
ont commencé à traverser les Amériques il y a 12 000 à 15 000 ans.
Ascendance néandertalienne
Vous
avez moins de variantes néandertaliennes que 80 % des clients 23andMe.
Cependant, votre ascendance néandertalienne représente moins de 4 % de votre
ADN global.
Une reconstitution de l’homme et de la femme de Néandertal
Votre haplogroupe[iv]
maternel est H1c
Votre haplogroupe
paternel est R-P311
Vous partagez un
ancêtre paternel avec Niall aux neuf otages. La propagation de
l'haplogroupe R-M269 dans le nord de l'Irlande et en Écosse a probablement été
favorisée par des hommes comme Niall aux neuf otages. Peut-être plus un mythe
qu’un homme, Niall aux neuf otages aurait été un roi de Tara dans le nord-ouest
de l'Irlande à la fin du IVe siècle apr. J.-C. Son nom vient d'une
histoire de neuf otages qu'il a détenus des régions qu'il a gouvernées. Bien
que les histoires légendaires de sa vie aient été inventées des centaines
d'années après sa mort, les preuves génétiques suggèrent que la dynastie Uí
Néill, dont le nom signifie «descendants de Niall», ne fait référence qu'à un
homme qui portait une branche de l’haplogroupe R-M269. Les Uí Néill régnaient
en tant que rois d'Irlande du VIIe au XIe siècle, apr.
J.-C. Dans la société très patriarcale de l'Irlande médiévale, leur statut leur
permettait d'avoir un grand nombre d'enfants et de perpétuer leur lignée
paternelle. En fait, les chercheurs ont estimé qu'entre 2 et 3 millions
d'hommes ayant des racines dans le nord-ouest de l'Irlande sont des
descendants de Niall.
À première vue, ces résultats de 23andMe me semblent plus près de ma réalité. Néanmoins, je m’étonne qu’on m’attribue 19 % au titre de «Largement nord-ouest de l'Europe » sans plus de précision. Cette partie de l’Europe s’étend du nord de l’Irlande au nord de la Norvège jusqu’à la Finlande et à la France, au sud.
En poursuivant mes recherches, j’apprends
qu’AncestryDNA possède de plus grandes bases de données qui m’éclaireraient sur
ce sujet. Vous avez sans doute compris que les résultats des tests d’ADN sont
tributaires de l’information obtenue des banques de données des laboratoires.
Je confie donc un échantillon de ma salive à AncestryDNA qui me présente les
résultats et les commentaires suivants :
Grande-Bretagne
(Angleterre, Écosse, Pays de Galles) 34 %
Irlande/Écosse/Pays de Galles 29 %
(Nota :
Si vous additionnez 34 % + 29 %, vous obtenez 63 %, soit, le même pourcentage
que dans le test de MyHeritage, chaque laboratoire ayant sa propre
terminologie.)
Péninsule
ibérique (Espagne et Portugal) 18 %
Les Grecs
baptisèrent cette région « Iberia » d'après la rivière Èbre. Les Romains, qui
appelaient cette région Hispania, y introduisirent le christianisme et le latin
qui allait se transformer en espagnol et en portugais. Par la suite, les Maures
traversèrent le Détroit de Gibraltar et établirent sur le continent l’une des
civilisations les plus avancées, riche d’universités, de bibliothèques et
d’hôpitaux. À l’effondrement du dernier bastion des Maures en 1492, les
navigateurs d’Espagne et du Portugal étaient prêts à propager leurs langues et leurs
cultures au monde entier.
Scandinavie (Suède, Norvège et
Danemark) 8 %
Les aventures
des Scandinaves, historiquement connus comme des navigateurs avertis, les
mirent en contact avec une grande partie du reste de l’Europe, parfois, en tant
que pirates redoutés et, d’autres fois, en tant que marchands et commerçants
toujours en voyage. Le navigateur scandinave Leif Ericson est le premier
Européen ayant atteint l’Amérique du Nord, 500 ans avant le premier voyage de
Christophe Colomb en 1492.
Sud de l’Europe (Italie et Grèce, principalement) 8 %
Régions
ayant un faible indice de confiance
Émirats
arabes unis (EAU), Liban, Israël) 1 %
Finlande/Russie
du Nord-Ouest < 1 %
Caucase
(Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Iran, Irak, Syrie, Turquie) < 1 %
Europe de
l’Est (Pologne, Slovaquie, République tchèque, Autriche, Russie, Hongrie,
Slovénie, Roumanie, Serbie, Ukraine, Biélorussie, Moldavie, Lituanie, Lettonie,
Bosnie-Herzégovine, Croatie) < 1 %
Migration
Les colons français de
Gaspésie, du Nouveau-Brunswick et du Maine
Vous avez probablement des proches
qui faisaient partie de cette migration au cours des quelques derniers siècles.
Votre lien avec cette migration est probablement dû à vos origines ancestrales
en Grande-Bretagne, en Irlande, en Écosse
et au Pays de Galles.
Les colons français le long du fleuve
Saint-Laurent
De nombreux
colons français émigrèrent en Nouvelle-France pour pratiquer le commerce de la
fourrure. Dans la nature sauvage, ils vivaient entourés d’autochtones hostiles.
Après la Guerre de la Conquête, les Britanniques considérèrent les Canadiens comme
des citoyens de seconde zone. Plusieurs d’entre eux se réfugièrent en Nouvelle-Angleterre.
Voilà les principaux éléments de mes
trois tests d’ADN. Pour moi, ces résultats étaient inattendus. Je désirais maintenant
comparer mes résultats de tests d’ADN avec ceux des membres de ma famille. À
mon instigation, l’un de mes frères, une cousine germaine, une belle-soeur et
une nièce ont aussi passé des tests d’ADN et ont obtenu des résultats
ressemblant aux miens. Vous me direz qu’il s’agit d’un échantillon faible.
Soit, je ne prétends pas faire une étude scientifique. Mais cela prouve que mon
ADN n’est pas exceptionnel. On pourrait dire que mes gènes sont pour partie
germaniques si cette appellation avait été retenue par MyHeritage, 23andMe et
AncestryDNA. Enfin, si mes gènes ne sont pas français, je suis quand même
originaire de France. C’est pourquoi j’ai tenté d’expliquer cette énigme en
revoyant notamment l’histoire des invasions barbares et vikings. Ceux qu’on
qualifie de barbares sont des peuples germaniques, comme le sont les Vikings. Ci-dessous,
une carte nous indique que les habitants du nord-ouest de la France sont
germaniques. C’est cette partie de la France que mes ancêtres ont quittée pour
s’établir en Nouvelle-France.
Cette carte
s’inspire des travaux du professeur Georges-Alexis Montandon.
Au Ve siècle, les Romains
ont commencé à se retirer des Îles britanniques. Voyez sur la carte ci-dessous un
afflux migratoire, vers l’Angleterre, d’Angles, de Saxons, de Jutes et de Frisons
(peuples germaniques). J’ajoute les Frisons qu’on semble ignorer malgré le fait
que c’est de leur langue notamment que l’ancien anglais tire une partie de ses
origines. Plusieurs Celtes qui s’y trouvaient se sont réfugiés en Irlande, en Écosse,
au Pays de Galles et en Bretagne. Quant aux Francs, une autre tribu germanique,
ils envahirent La Gaule dont une partie deviendra la France.
Dans son livre The Origins of the British[v] Stephen Oppenheimer affirme que les Angles et les Saxons ne comptent que pour 5 % du génome des Britanniques. Ceux-ci seraient d’origine celtique comme les Irlandais, les Écossais et les Gallois.
À l’opposé, The Guardian[vi] rapporte que des chercheurs de l’Université
d’Oxford ont réalisé une étude génétique qu'ils ont publiée dans la revue Nature ; elle
s’est échelonnée sur 20 années ; elle révèle que 30 % de l'ADN des Britanniques de race
blanche a une forte influence anglo-saxonne. Bien que les Romains, les Vikings et les
Normands aient régné sur les Britanniques pendant des centaines d’années, ils ont
laissé peu de traces sur leur ADN, observent-ils.
Étonnamment, cette étude démontre que les personnes vivant dans le Sud et
le centre de l'Angleterre aujourd'hui partagent généralement environ 40 % de leur
ADN avec les Français, 11 % avec les Danois et 9 % avec les Belges. Plus de 2000
personnes ont participé à cette étude. La contribution française n'était cependant pas
liée à l'invasion normande de 1066, mais à une vague de migration jusque-là inconnue
en Grande-Bretagne, quelque temps après la fin de la dernière période glaciaire, il y a
près de 10 000 ans.
Au IXe siècle, c’est au tour des Vikings de bouleverser l’ADN de l’Europe du Nord-Ouest. Voyez la carte ci-dessous qui indique les lieux qu’ils ont envahis, dont la Normandie.
La France a été colonisée ou envahie par les Celtes, les Basques, les Grecs,
les Romains, les Francs, les Vikings, etc. Et il est généralement admis que le
nord de la France est plus proche culturellement et ethniquement de l'Europe du
Nord. Aussi, n’est-ce pas une hérésie de qualifier les Québécois de Latins?
En France, les tests de filiation
ne sont autorisés que sur décision de justice, et à des fins médicales ou pour
des recherches scientifiques. Conséquemment, les bases de données sur l’ADN des
Français s’en trouvent réduites. Revoyez mes résultats de 23andMe. Mon génome
serait 48,1 % français et allemand.
Allez savoir dans quelle proportion je suis l’un ou l’autre ! Se soumettre à
des tests d’ADN, c’est aussi accepter de recevoir des résultats stupéfiants.
Depuis l’arrivée de mes ancêtres
en Nouvelle-France, au cours du XVIIe siècle, les populations du
nord-ouest de la France ont subi des flux migratoires. Et ne faut-il pas
s’étonner que l’on ne s’y retrouve plus ?
La
génomique récréationnelle, comme les Français l’appellent, est interdite. Cependant,
plusieurs Français font quand même usage des tests d’ADN en s’adressant à des
laboratoires à l’étranger. Avec le temps, les banques de données se raffineront et
offriront des résultats plus précis.
En quelques pages, j’ai effleuré un
sujet difficile, mais combien captivant ! Je vous incite à vivre cette
expérience. Le génome humain est un vaste domaine d’étude. Par exemple, comment
nos gènes influencent-ils notre comportement? La justice devrait-elle considérer
que l’auteur d’un délit a agi sous l'impulsion de son génome? Sommes-nous
vraiment libres? La connaissance de nos origines génétiques nous fera-t-elle
voir le monde différemment?
Nota : Pour la reproduction des cartes dans mon texte,
je n’ai pas trouvé à qui je devais m’adresser.
[i] Comprendre les tests génétiques : analyse de
«23andMe»
[ii] Le patrimoine génétique germanique des
Québécois par Christian Allen Drouin
[iii] « I’m an English, my dear »
Alain Vadeboncoeur
[iv]
Les
haplogroupes sont en quelque sorte des branches de l'arbre généalogique de
l'homme moderne. En génétique, un haplogroupe désigne un grand groupe de gènes
situés sur le même chromosome (haplotypes). On distingue environ 25
haplogroupes (A, B, C, etc.), chacun possédant ses propres caractéristiques
génétiques. Les haplogroupes aident à comprendre les déplacements géographiques
des hommes et des femmes au fil du temps. Les plus étudiés sont l'haplogroupe
du chromosome Y (hommes, lignée paternelle) et l'haplogroupe ADNmt (hommes et
femmes, lignée maternelle).