BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES NATIONALES DU QUÉBEC NUIT AUX CHERCHEURS
GUY BERTHIAUME
Le président-directeur général de la
bibliothèque nationale du Québec
Christine Saint-Pierre
Ministre de la Culture, des Communications et de
la Condition féminine
Les difficultés que j’ai éprouvées dans mes recherches à Bibliothèque et archives nationales du Québec (ci-après BAnQ) ne pourraient être passées sous silence.
L’affaire Coffin
a) Les transcriptions sténographiques du procès
Au cours de ma recherche sur l’affaire Coffin, j’ai constaté que plusieurs écrits mensongers causaient un tort irréparable à la réputation de notre système judiciaire. Je désirais corriger cette situation. Pour ce faire, il me fallait prendre connaissance de tout le dossier de la cour. J’ai d’abord obtenu, avec empressement, la permission du Centre d’archives de Rimouski de faire une copie des transcriptions sténographiques du procès qui s’est tenu devant la Cour du banc de la reine, à Percé en 1954.
b) Les transcriptions sténographiques de la Commission Brossard
On m’a aussi permis de consulter les transcriptions sténographiques des témoignages entendus par la Commission Brossard, à l’exception d’environ 500 pages soumises au huis clos. Aussi ai-je demandé à la Commission d’accès à l’information (CAI) de m’autoriser à prendre connaissance de ces transcriptions « secrètes ». Elle acquiesça à ma demande en exigeant toutefois que les renseignements personnels soient masqués.
Finalement, BAnQ a porté cette décision en appel devant la Cour du Québec et le Procureur général du Québec est intervenu. Le juge Martin Hébert, de la Cour du Québec, a infirmé la décision du Commissaire qui me permettait de prendre connaissance des transcriptions sténographiques des témoignages entendus à huis clos.
c) Le dossier de police
Au début d’avril 2006, j’ai demandé au ministère de la Sécurité publique à voir le dossier de police. On m’a d’abord refusé l’accès à ces documents. J’en ai appelé à la CAI. Avant l’audition de ma demande, j’ai reçu une partie du dossier. Enfin, la CAI a décidé qu’on devait m’envoyer l’autre partie. Mais plusieurs de ces documents étaient caviardés et difficilement compréhensibles.
J’ai dénoncé en vain cette pratique. On confie la tâche de caviarder des documents à quelqu’un qui n’a pas une connaissance approfondie du dossier. En procédant ainsi, on adjoint au chercheur un « assistant » qui ne connaît rien de son sujet de recherche ni du but qu’il poursuit. Qu’arriverait-il si cet « assistant » omettait de masquer certains renseignements privilégiés? BAnQ ne m’a pas fait signer un engagement de confidentialité. Quelle responsabilité aurais-je encourue en utilisant des renseignements privilégiés que mon « assistant » aurait omis de masquer, soit par ignorance soit par inattention?
Dans sa décision concernant le dossier de police, le Commissaire reconnaît que je suis avocat et écrivain, mais il ne croit pas que mes travaux soient visés par l’exception prévue à la loi. Le Commissaire met même en doute mon intégrité. Je cite un extrait de sa décision du 9 janvier 2009 : Or, comment le demandeur pourra-t-il faire la lumière sur les circonstances de l’affaire Coffin sans révéler les renseignements personnels dont il apprendrait l’existence dans ces documents, alors que le but avoué de sa demande vise précisément à confronter ou comparer les versions, les déclarations et les preuves déposées ou obtenues? Le Commissaire Jean Chartier manifeste beaucoup de méfiance dans ses propos. Il semble bien que je ne puisse pas juger moi-même ce que la loi et le gros bon sens me permettraient de rendre public. Et pourtant, on m’a fait prêter serment en devenant avocat de soutenir notre système judiciaire. Et on a fait de moi un officier de justice. Selon la Loi sur le Barreau, j’exerce une fonction publique auprès du tribunal et collabore à l’administration de la justice. En outre, mon code de déontologie m’oblige à servir la justice, à soutenir l’autorité des tribunaux et à ne pas agir de façon à porter préjudice à l’administration de la justice. Tout cela sous peine d’outrage au tribunal et de sanctions disciplinaires.
Je n’ai pas interjeté appel. On m’a eu à l’usure, dit-on communément. Mais il n’en demeure pas moins qu’en promulguant ce deuxième paragraphe de l’article 19, le législateur visait à exercer un contrôle sur l’accès à ces documents et non à l’interdire.
Nul doute que, en créant une Commission royale d’enquête, le législateur a voulu faire toute la lumière sur l’affaire Coffin. Mais en refusant, sans discernement, l’accès aux témoignages rendus à huis clos, BAnQ laisse persister des doutes sur le bien-fondé des conclusions de la Commission Brossard. Le législateur détruirait-il avec une loi ce qu’il cherche à réaliser par une autre?
d) La Loi sur les archives
Dans sa Loi sur les archives, le législateur interdit la consultation de certains documents, mais il n’en a pas fait une interdiction absolue. S’il l’avait fait, il serait allé à l’encontre du but qu’il poursuivait : rendre l’information accessible au public. C’est évidemment pour cette raison qu’il a prévu une exception à sa loi. Ainsi, des documents peuvent être communiqués, avant l’expiration des délais prévus, à une personne, à des fins de recherche.
Cependant, plutôt que de laisser, au bon vouloir de ses fonctionnaires, l’interprétation de sa loi, le législateur aurait dû préciser à quelles conditions les chercheurs pouvaient se prévaloir de cette exception. Les critères sur lesquels se fonde BAnQ pour refuser l’accès à ces documents ne sont pas connus. Aussi l’avocat de BAnQ et l’avocate du Procureur général ont-ils soutenu, en invoquant les mots magiques « peuvent être » de l’article 19, sans plus, que je n’étais pas un chercheur, mais un écrivain.
e) Bibliothèque et archives du Canada, un modèle à suivre
À Bibliothèque et archives du Canada (BAC), j’ai pu consulter tous les documents qui concernaient mon sujet de recherche. On m’a donné accès à tous les dossiers du Fonds Gravel & associés. François de B. Gravel était l’un des avocats de Coffin. Il a légué à BAC ses dossiers relatifs à l’affaire Coffin. L’accès à certains de ces documents est restreint. Cependant, en m’engageant à ne publier aucun renseignement susceptible de contrevenir à la vie privée des personnes concernées, j’ai pu lire tous les documents relatifs à l’affaire Coffin. Il s’agissait ici de protéger le secret de la relation entre l’avocat et son client. J’avais la satisfaction d’avoir fait une recherche sérieuse. De plus, j’assumais l’entière responsabilité de l’information que j’avais obtenue. Aucun « assistant » ne s’était interposé et n’avait embrouillé la portée de ma responsabilité.
Toutefois, j’ai trouvé cocasse que BAC me donne accès à des transcriptions sténographiques de témoignages rendus à huis clos devant la Commission Brossard et à des rapports de police qu’on me refusait de consulter au Québec.
BAnQ met peu d’instruments de recherche à la disposition du public. Le chercheur n’a pas de moyens de contrôler si l’archiviste à qui il demande à consulter des dossiers lui donne une réponse pleine et entière. Maintenant, quand j’entends des gens affirmer que des dossiers « de nature délicate » ont été détruits, je suis enclin à tendre l’oreille.
À SUIVRE
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Ceux et celles qui se sont intéressés au procès de Guy Turcotte aimeront sans doute lire cet article de Jean-Pierre Hébert intitulé L'affaire Guy Turcotte Le procès du jury, paru dans LE JOURNAL DU BARREAU DU QUÉBEC. Cliquez sur le lien suivant et allez à la page 10 :
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