29 février 2008

L'ENQUÊTE DU CORONER AFFAIRE COFFIN




EXTRAIT DU RAPPORT BROSSARD

Vol. 2, Partie VII, chapitre 4

L’ENQUÊTE DU CORONER

(Dactylographié par Clément Fortin)
Je ne mentionne, qu’à titre de rappel, que lors du procès d’un accusé pour meurtre rien, absolument rien de ce qui s’est passé au cours de l’enquête du Coroner ne doit être porté à l’attention du jury qui entend la cause au mérite.
Il n’y a eu aucune preuve de faite devant nous tendant à établir que cette règle ait été transgressée.
Aucune preuve ne nous a, par ailleurs, été soumise tendant à établir que les douze membres du jury de Percé aient été informés par quiconque de ce qui avait pu se passer à l’enquête du coroner, plus particulièrement du verdict du jury du Coroner et des circonstances dans lesquelles il fut rendu.
Cependant, les procédures devant le Coroner ayant fait partie des procédures, à tous les stades, qui ont abouti à la condamnation de Coffin ; la Commission a enquêté sur les agissements de ceux qui ont participé à l’exposé de la preuve devant ce jury du Coroner.
Il y eut à véritablement parler deux enquêtes du Coroner, une première, en deux séances les 18 et 27 juillet 1953, alors qu’un verdict fut rendu à l’effet que les trois chasseurs américains étaient morts assassinés par une ou des personnes inconnues, et une deuxième enquête, qui n’était théoriquement que la réouverture de la première et qui eut lieu le 27 août 1953.
Aux trois séances, le jury fut présidé par le docteur Lionel Rioux, alors Coroner du district de Gaspé depuis plusieurs années.
Le docteur Rioux était sans aucun doute un médecin honorable, honnête, compétent, possédant bien sa science médicale et dévoué à ses clients.
On ne peut malheureusement dire la même chose de sa compétence et de ses connaissances légales pour agir comme Coroner.
Sans qu’il soit nécessaire d’accabler outre mesure ce médecin et cet honnête citoyen, je me considère dans la pénible obligation d’attirer l’attention sur les faits suivants qui ont été portés à la connaissance de la Commission.
S’il faut en juger par les réponses qu’il a faites devant nous, le docteur Rioux ne connaissait rien de la teneur, du sens, des effets de la protection qui doit être accordée à tout témoin qui comparaît et qui la demande afin que ses réponses ne l’incriminent pas.
Le docteur Rioux était si peu certain de ses droits et obligations comme Coroner, qu’avant la dernière séance de l’enquête qui devait se tenir le 27 août, il jugea nécessaire de consulter le Solliciteur général de l’époque, l’honorable Antoine Rivard, (devenu juge de la Cour du Banc de la Reine de Québec) quant aux droits qu’il pourrait avoir de tenter d’obtenir des aveux de Wilbert Coffin, et, à la fin de l’enquête de faire venir, auprès de lui, devant les membres du jury, retirés momentanément de la Cour, Me Noël Dorion, alors Procureur de la Couronne, pour que celui-ci donne aux jurés des instructions sur leur propre devoir et sur le caractère de la décision qu’ils devaient rendre.
Ayant reçu de l’honorable Solliciteur général l’information qu’il avait le droit de poser toutes les questions qui lui paraissaient pertinentes pour tenter d’obtenir la vérité de chaque témoin, il paraît en avoir conclu qu’il avait reçu du Solliciteur général carte blanche pour tenter d’obtenir des aveux de Wilbert Coffin.
Je reviendrai tantôt sur ce qui s’est passé à la fin de la séance du 27 août pour tout d’abord reprendre l’énumération des erreurs et irrégularités commises par le docteur Rioux.
Lors de la séance du 27 juillet, alors que le docteur n’avait pas à sa disposition un sténographe officiel, mais avait cependant les services de sa secrétaire, le docteur prit ses propres notes de ce qu’avaient déclaré les témoins entendus par lui, plus particulièrement Wilbert Coffin. Or, chose ineffable, il fit signer en blanc par les divers témoins, y compris Wilbert Coffin, des feuilles sur lesquelles il devait subséquemment transcrire les témoignages de chacun. Un ou deux jours après l’enquête, s’aidant de ses notes et de celles qu’avait pu prendre sa secrétaire, il transcrivit sur les pages ainsi signées en blanc les dépositions des témoins. Seconde chose ineffable, toutes les dépositions furent transcrites en langue française, alors que la majorité des témoins qu’il avait entendus avaient témoigné en langue anglaise. Troisième chose ineffable, il avait obtenu la signature de Coffin sur deux feuilles blanches, dont l’une servit à la transcription de la déposition de Coffin en langue française et l’autre à la transcription en langue anglaise. L’Assistant procureur général, Me C.E. Cantin, nous informa avoir donné des instructions formelles de corriger cette procédure irrégulière et avoir, en conséquence, ignoré, quant au docteur Rioux, les irrégularités que nous a révélées la présente enquête.
Aussi bien lors de cette enquête, le docteur fut-il interrogé assez longuement sur l’exactitude des affirmations de Wilbert Coffin, transcrites par lui en langue anglaise; il certifia leur exactitude tout spécialement en ce qui avait trait à la description donnée par Wilbert Coffin de la jeep qu’il prétendait avoir vue et de ses occupants. Il affirma de façon catégorique que Coffin avait parlé d’une jeep « which looked like an old army jeep, something like a panel”. Il affirma également que Coffin n’avait pas mentionné une station-wagon, contrairement à ce que lui, le docteur Rioux, déclara à la télévision en décembre 1963 ; il explique qu’à la télévision, ayant été « pris un peu par surprise », il a pu se servir de l’expression station-wagon, involontairement, plutôt que de celle de « army jeep ».
La preuve nous a de plus révélé que l’un des six membres qui avaient siégé sur le jury lors des deux premières séances de l’enquête, un M. de Grouchy fut remplacé, lors de la troisième séance par un nouveau juré, le notaire Gabriel Bernard et que le coroner ne songea pas du tout à relire au jury, nonobstant ce remplacement de l’un des six membres, les dépositions qui avaient été reçues et signées lors de l’enquête du 27 juillet. (Ce changement était inconnu de Mes Dorion et Maher).
D’autre part, le docteur Rioux informa la Commission que, bien que c’eût été son désir de faire entendre Coffin de nouveau, il fut dissuadé de ce faire par Me Noël Dorion le procureur de la Couronne et qu’il ne fit en conséquence pas entendre Coffin, qui se trouvait cependant à l’extérieur de la bâtisse dans laquelle se tenait l’enquête.
Le docteur Rioux prétendit encore que ce fut à la demande de Me Noël Dorion lui-même qu’il invita ce dernier à se rendre devant les membres du jury, derrière un paravent, pour leur donner des instructions, et ce, après que le président du jury, monsieur Lloyd Annett, fut venu le trouver au cours des délibérations du jury pour l’informer que le jury n’était pas disposé à trouver Coffin soit « coupable » ou « criminellement responsable », (il ne le sait trop), à raison de l’insuffisance des preuves circonstancielles quant à sa responsabilité pour le meurtre, bien qu’il fût satisfait de sa responsabilité quant au vol. C’est parce que, avec raison, il ne considérait pas un verdict en ce sens satisfaisant qu’il accepta l’offre de Me Dorion d’aller donner des explications aux membres du jury.
Me Dorion expliqua que le matin de l’enquête, avant de se rendre à la salle où elle devait se tenir, il avait informé le Coroner qu’il serait préférable de ne pas faire entendre Coffin, et que celui-ci semblait s’être rendu à ses raisons, qui étaient les suivantes : il considérait alors, comme toujours, injuste pour un individu sérieusement soupçonné d’être l’auteur du meurtre qu’on l’interroge au cours de l’enquête où il est susceptible d’être trouvé criminellement responsable de la mort de la victime. Me Dorion expliqua que, pendant que l’enquête se déroulait, il en avait causé avec Me Maher, le procureur de Wilbert Coffin, qui non seulement avait abondé dans son sens, mais avait aussi déclaré que c’était son propre désir que Coffin ne soit pas entendu. Quant aux démarches auprès des membres du jury, Me Dorion expliqua que ce ne fut pas de sa propre initiative, mais à la demande du Coroner lui-même, qu’il se rendit leur donner des renseignements et qu’il le fit en présence du Coroner et de Me Maher ; Me Dorion fut corroboré par Me Maher sur ce point.
Or, il appert qu’à l’occasion des renseignements qu’il donna aux membres du jury, tout en leur disant qu’ils devaient écouter les dictées de leur conscience et se baser sur la preuve qu’ils avaient reçue pour rendre leur verdict, Me Dorion jugea opportun de les informer que, quel que soit ce verdict, une accusation serait logée contre Coffin pour le meurtre des Américains, et ce, suivant les instructions reçues du ministère du Procureur général. La preuve faite devant nous a confirmé que de telles instructions avaient effectivement été données à Me Dorion avant que l’enquête ne se tienne.
Les explications de Me Dorion, confirmées par Me Maher, furent également, en substance, confirmées par les six membres du jury. Des témoignages de ces derniers, ressort toutefois que ce fut avec certaines hésitations qu’ils tinrent Coffin criminellement responsable et qu’il ne paraît pas douteux qu’ils furent fortement impressionnés par le renseignement que, quel que pût être leur verdict, Coffin serait mis en état d’accusation.
Ces nombreuses irrégularités commises par le Coroner, ignorance de l’importance de la déclaration de protection en faveur d’un témoin, assujettissement du Coroner aux connaissances légales du procureur de la Couronne, à ses conseils et dans une certaine mesure à ses instructions, intervention du procureur de la Couronne auprès des membres du jury pour leur faire connaître la décision des autorités supérieures de porter une accusation contre Coffin quel que fût leur verdict, obtention de la signature en blanc des témoins sur les feuilles destinées à recevoir la transcription de leurs témoignages, transcription de ces témoignages dans une langue autre que celle dans laquelle ils avaient été rendus, ont sans doute été sans effet juridique sur la mise en accusation de Coffin ; il y a lieu de croire qu’elles n’ont également eu aucun effet sur le jury, au procès, puisqu’elles ne furent pas communiquées à sa connaissance. Certes, la preuve ne révèle pas que Me Noêl Dorion se soit personnellement imposé par ses paroles auprès du Coroner, encore que la force de sa personnalité a pu avoir de l’influence et sur lui et sur les membres du jury. Mais il n’en reste pas moins que les faits mis en preuve devant nous sont de nature à appuyer les revendications de ceux, et ils sont nombreux, qui croient que notre loi du coroner devrait être réétudiée, repensée et profondément modifiée. J’aurai, à la fin de ce rapport, certaines recommandations à faire à ce sujet.
Il est assez amusant de constater que la preuve faite devant nous sur les circonstances de l’enquête du coroner n’a fait l’objet d’aucune critique ou accusation soit dans les livres de messieurs Belliveau ou Hébert, soit à la télévision.

LA SEMAINE PROCHAINE, J'AFFICHERAI UNE PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE DU RAPPORT BROSSARD INTITULÉ: POURQUOI LA DÉFENSE S'EST TUE. VOUS LIREZ UN LONG EXTRAIT DU TÉMOIGNAGE DE Me RAYMOND MAHER, L'UN DES AVOCATS DE COFFIN.



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